Poulain
Un vieil artisan, passé maître dans l'art des feuilles d'or, en produisait de si fines qu'il connût ainsi une grande célébrité. A tel point que le roi lui-même ordonna d'en faire envelopper son chocolat le plus noir. De sorte que chacune de ses tablettes, ressemblant à un trésor, fît accourir les grands de ce monde. " 1848 " de Poulain, rappellez-vous comme vous aimez le chocolat. A la manière d'un conte de Perrault, cette publicité, réalisée par l'agence Alice en 1995, annonce une révolution. Produit familial et populaire, Poulain et sa marque " 1848 " renoue avec la tradition de son fondateur, celle de grand chocolatier. Preuve que l'histoire, c'est aussi demain !
1848 : la démocratie par le chocolat


Il est vrai que Poulain sonne mieux que les initiales du couple (PB) ou celles du fondateur (VAP) quand d'autres lanceront LU (1887) ou BN (1993). Au reste, ce choix n'est pas en soi, révolutionnaire comme en témoignent les autres marques de chocolat patronymiques créées au XIXème siècle : Philippe Suchard (1826), Jean-Antoine Brutus Menier (1836) et Johan Jacob Tobler (1868). Révolutionnaire, en revanche, sera l'intuition de Victor Auguste Poulain, également partagée par Emile Justin Menier : faire du chocolat un produit consommé par le plus grand nombre. " Son histoire est d'une modernité fantastique. Sans avoir fait la moindre " business school ", il a tout inventé sur le plan marketing et ses successeurs ont su pendant longtemps conserver l'âme de la marque ", résume Marc Baraban, directeur du marketing Cadbury France (1). Poulain ou quand un homme d'exception comprend les changements de son temps - la révolution industrielle avec, pour conséquence sociale, l'entrée dans l'ère des masses - et sait les traduire sur le plan industriel et commercial. L'homme est encore un enfant quand, jugé trop malingre pour devenir cultivateur, et après une brève scolarité à l'école primaire de Pontlevoy, il quitte à 9 ans la ferme familiale, avec pour tout viatique, dix sous en poche. Commis d'épicier à Bléré puis à Blois, sa vocation mûrit à Paris.
C'est au " Mortier d'Argent ", épicerie de luxe rue Monsieur le Prince que, de 1837 à 1847, il s'initie à la fabrication encore artisanale du chocolat, alors vendu sous la forme de boudins.
Après l'apprentissage, l'indépendance. 1847 : Victor Auguste Poulain a 22 ans lorsqu'il décide de se mettre à son compte comme confiseurs à Blois. Débuts difficiles quand la ville compte cinq confiseurs et les dépôts de certaines maisons parisiennes. Comment se singulariser ? "En passant du statut de confiseur-chocolatier à celui d'industriel du chocolat explique Marc Baraban. "
Un industriel conscient que le chocolat ne peut avoir un avenir commercial que s'il devient un produit de consommation quotidien et de masse et non plus seulement réservé à l'aristocratie et à la bourgeoisie". A ce nouveau marché doit correspondre un changement quant à l'utilisation du chocolat : produit de " santé ", il doit devenir un produit gourmand.
Or, seule, la machine peut garantir une qualité constante et optimale. " Enfant d'une famille pauvre, longtemps astreint à la frugalité, Victor Auguste Poulain souhaitait que tous les enfants puissent consommer du chocolat. C'est cela l'âme de la marque ", explique Marc Baraban. Ses cibles seront donc la famille et les enfants. Et c'est dans la maison Natale du célèbre prestidigitateur, Jean Eugène Robert-Houdin, le père de la magie moderne que Victor Auguste Poulain, autre magicien, fabrique ses premiers chocolats.
Tryptique qui fonde la réussite de la marque : industrialiser pour réduire les coûts et donc les prix, fabriquer des produits de qualité et les faire connaître par la réclame. Alors que ses concurrents limitent leur offre à un chocolat à cuire et à fondre, parfois aromatisé de vanille, Poulain propose une gamme très large fondée sur une qualité constante.
Un premier brevet pour une préparation au chocolat est déposé en 1852.
" Dès lors, la marque Chocolat Poulain allait être à l'abri de la contrefaçon, quand à sa formule de fabrication et à sa qualité sans rivale " (2). Mais son ambition a un coût qu'il finance grâce à la dot de sa femme et la vente de ses propres biens acquis par héritage.
Il peut ainsi acheter, en 1855 et bâtir une broyeuse mécanique puis bâtir une usine à Blois dont la construction s'étendra de 1862 à 1879. Signe du succès : elle compte 30 ouvriers en 1870, 700 au début du XXème siècle. Baptisée usine de la Vilette, elle figure aujourd'hui sur le packaging de la marque " 1848 ".



Comparaison est raison

Sur l'emballage de Poulain Papier Orange figure le premier "logo" de la marque: un caducée - le chocolat n'est-il pas encore considéré comme un médicament ? -entouré de rinceaux qui rappellent les décorations du comptoir-caisse du Mortier d'Argent. Ce même logo est apposé sur" Déjeuner Universel ", produit destiné à prouver que le chocolat à croquer n'est pas seulement un produit à cuire mais à déguster et lancé en 1864, année de l'ouverture du premier magasin parisien. Autre facette du génie publicitaire de Victor-Auguste Poulain : la technique de la " vente retardée " qui annonce à grand renfort de publicité que les nouveaux produits ne sont disponibles que huit jours avant Noël. Il crée la demande et neutralise les copieurs. " La maison Poulain tient en réserve pour la fin de l'année un joli assortiment de Bonbons Nouveaux, de son invention, que, pour éviter toute contrefaçon ultérieure, elle mettra en vente huit jours seulement avant le Jour de l'An ", peut-on lire dans le Journal de Loir-et-Cher du 10 décembre 1857. Et, pour inciter les épiciers à passer des commandes importantes, Victor AugustePoulain leur offre douze couteaux à manche d'ébène dans un écrin ! Mais rien de tel qu'un bon slogan pour créer un réflexe que l'on qualifiera plus tard de " pavlovien ".
Avec "Goûtez et Comparez", mot d'ordre lancé le 22 février 1863 (4) sur des affiches tricolores apposées dans toute la France, Victor Auguste Poulain inaugure à grande échelle la publicité comparative et fait du client le juge arbitre (aujourd'hui, on parle de client expert). On ne peut rêver meilleur contrat de confiance pour une marque encore provinciale qui entend rivaliser avec les maisons parisiennes et fidéliser ses clients !
Au nombre desquels, les enfants pour qui Victor Auguste Poulain glisse, dès 1866, des images dans ses bâtons en chocolat. " Mais elles ne mentionnent pas encore le nom de la société ", précise Nina Favart, conservateur du musée municipal de Pontlevoy. Et d'ajouter : " Il faut attendre le Bon Marché qui appose en 1867 le nom de l'enseigne sur les images et surtout les nouveaux procédés techniques de chromolithographie pour que Victor Auguste Poulain offre en 1879 dans son Déjeuner Universel des petites vignettes à son nom ", ajoute-t-elle.



L'enfant, déjà


L'opération ne durera qu'un an, en raison de son coût trop élevé. Les petits soldats seront remplacés par des petits livrets de contes ", précise Nina Favart. Preuve que l'enfant est plus que jamais la cible prioritaire, Albert Poulain lance en 1885 la publicité " Bébé Poulain " représentant un bébé jouant avec une tablette de chocolat.
Ce bébé figure également sur les découpis, ancêtres des publicités sur le lieu de vente (PLV), images dont les bords et l'intérieur sont découpés selon les contours du dessin. Assemblées en plusieurs plans, elles deviennent des images à système, c'est-à-dire mobiles. Leur fabrication cesse vers 1895.
L'usine accueille également une imprimerie d'où sortent les séries d'images à collectionner. Les chromos publicitaires sont un véritable miroir de la société et de ses temps forts. Les scènes de la vie quotidienne, appelées " scènes de genre " prédominent entre 1880 et 1890, où l'on voit des enfants costumés jouant des rôles d'adultes. Après l'Exposition Universelle de 1889, les thèmes illustrent l'ouverture sur le monde comme la série " Les Sciences " en 1895 ou "le voyage du président Félix Faure en Russie " (1897). Et quand la société Poulain entend accompagner la scolarisation des enfants (les lois sur l'enseignement primaire gratuit ont été promulguées en 1881) avec des images " instructives " (Le Tour du Monde en 80 jours, le progrès, les insectes, les ponts pittoresques , etc.) elle a changé de mains depuis trois ans ! Preuve que les successeurs respectent l'esprit de la marque. De fait, en 1893, une société anonyme est créée, composée de MM. Albert Poulain, Léon Renard et Georges Bénard, ces deux derniers étant beaux-frères. Trois ans plus tard, Victor-Auguste Poulain, toujours actionnaire majoritaire, vend sa société, son fils ayant décidé de se consacrer à l'industrie biscuitière. Il décèdera en juillet 1918 quelques jours après l'incendie de son usine.
Quand un poulain se fait logo

Le premier prix, 50 000 francs, fut remis par Pigier, président du jury et fondateur de l'école du même nom à Paris. "Les successeurs de Victor Auguste Poulain furent également des précurseurs en inventant ce qu'on appelle aujourd'hui le marketing de situation et le géomarketing" , ajoute Marc Baraban. Ainsi des " musées scolaires ", ancêtres des kit pédagogiques, introduits à l'école en 1906 : des boîtes contenant tous les ingrédients qui entrent dans la composition du chocolat servaient à l'instituteur pour une " leçon de choses ".
Ce dernier pouvait en 1909 s'aider d'une affiche ou tableau mural Poulain pour expliquer la cueillette du chocolat et sa fabrication. Et les élèves protégeaient leur cahier avec des protèges-cahiers… Poulain.
Autre outil de promotion dont l'utilisation témoigne, pour l'époque d'une audace certaine de la part de Georges Bénard : le cinéma. Des " billets de faveur ", distribués dans les tablettes de Chocolat Poulain Orange donnaient droit à une entrée à moitié prix. Avec l'acquisition du premier cinéma en 1907 à Marseille, la société Poulain devient, comme Pathé, un propagandiste du 7ème art ! En 1914, la société comptera 110 salles de cinéma dont un certain nombre dans les pays où elle exporte, comme l'Egypte ou l'Angleterre où l'on peut lire sur les emballages Poulain "Taste and compare" ou "Taste an be convinced".
Des bâtons aux carrés


Après la Seconde Guerre mondiale, la famille Bénard continue d'innover sur .le plan commercial. Partenaire du Tour de France pendant 35 ans pour lequel il est à l'origine de la caravane, Poulain crée aussi le grand prix de la montagne. La marque est une des premières à réaliser des animations (gagner son poids en chocolat) dans les hypermarchés. " Alors que beaucoup de ses concurrents étaient distribués par des grossistes-confiseurs, Poulain a fait le choix des grossistes-épiciers puis des grandes surfaces: les volumes ont explosé. La marque reste toujours dans l'esprit de son fondateur : toucher le plus grand nombre ", rappelle Marc Baraban.
"1848", une nouvelle révolution

Il est vrai que les changements de mains peuvent, en partie, expliquer le manque de vigilance face à l'évolution du marché: vendu au groupe Midial (8) en 1987, Poulain tombe dans l'escarcelle de Cadbury-Schweppes en 1988.
Preuve que les hommes comptent autant que les marques dans la pérennité de ces dernières, la nomination, en 1994, de Marc Baraban au poste de directeur du marketing, apporte l'électrochoc salutaire. La marque entend dorénavant illustrer, par ses innovations, la tradition chocolatière française.

Quand le département recherche de Poulain s'active, dans l'usine ultra-moderne conçue en 1990 par l'architecte Jean Nouvel, sur de nouveaux goûts (un chocolat noir dégustation, un noir café, un noir menthe, les blocs gourmands), l'agence Dragon Rouge planche sur une nouvelle identité visuelle et sur une nouvelle marque.

Et les consommateurs plébiscitent les innovations : la gamme "1848" fut élue produit de l'année en 1996, les "Blocs Gourmands" , en 1997. Autre changement majeur de cette revitalisation : le petit poulain ne figure " plus que sur deux produits, le pulvérisé Grand Arôme et, de manière stylisée façon Muppet, sur le Super Poulain.
Et la série des images a été stoppée en 1995. " Si l'année 1984 fut une année record avec un million d'enfants collectionneurs sur une cible de 8 millions, on n'en comptait plus que 25 000 en 1994. Les images ont été victimes de la modification du paysage audiovisuel avec, à partir de 1985, le lancement de nouvelles chaînes et la création de programmes TV spécifiques aux enfants ", explique Marc Baraban.
Consommé aujourd'hui par un tiers des foyers français, c'est pour trois millions d'entre eux que Poulain a lancé le 15 février 1998 le magazine " Tentation Chocolats ". Avec beaucoup... d'images !
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