Les berceaux familliaux
La toponymie, science qui recherche l’étymologie des noms de lieux, montre que sur quantité d’appellations témoignant de l’histoire du peuplement, nombre d’entre elles évoquent d’anciennes villae.
Les villae de l’époque gallo-romaine, étaient traditionnellement désignées par le nom de leur propriétaire, suivi du suffixe acum ou anum. Le domaine d’Aurélius était ainsi appelé Auréliacum (aujourd’hui Aurillac). L’évolution et la francisation de ces noms a ensuite variées. Ainsi Martiniacum (le domaine de Martinius) a donné Martigney en Franche Comté, Martignieu en Lyonnais etc.….
A la période suivante, le phénomène a continué. Les envahisseurs germains ont inspirés des terminaisons nouvelles en ingen ou ingue en Flandres, en ange en Lorraine et en ans en Bourgogne, comme Bertringen ou Bertrange. Mais on a surtout fabriqués des noms en cour et en ville (ou en hof et en dorf en Alsace et en Lorraine).
Les premiers terminés en cour étaient construits sur la base latine curtis, désignant à l’origine la cour de ferme puis la ferme elle même, ou le hameau qui s’était développé autour d’elle (Courcelles, Courseul), et extrêmement fréquent en Lorraine, en Artois et en Picardie, ou ils intégrant généralement le nom du propriétaire, ainsi Brandicourt ou Azincourt (noms des domaines de Brando et d’Aizo).
Les seconds continuant a être construits sur notre villae, de plus en plus liée à l’idée de village, nous ont donné des Velle, Vielle (devenant Bielle en Béarn), de nombreux Villard, Villers et Villiers et de très fréquents toponymes intégrant pareillement des noms propres, comme Romainville, Charleville, particulièrement fréquent sen Normandie (comme Tourville, construit sur le nom viking Thordr).
Nos noms de lieux témoignent également des très anciens noyaux d’habitation dont la toponymie permet souvent de dater leur apparition :
De l’époque gauloise datent les noms formés sur bona (=village comme Boulogne) et sur attregia (= cabane comme Athis, Athée, Les Autels…)
De l’époque gallo-romaine datent à la fois ceux formés sur capanna, désignant en bas latin une hutte, mot qui a donné notre cabane (d’où Chabannes, Chavannes et Chevannes) et ceux formés sur case, désignant quant à lui une petite maison ( d’où Cazal, Cazaux, Chazal, Chazelles…). Et également les noms formés sur vicus, désignant le village (d’où Vicq, Longvic, Longwy, Neuvic…)
De la période des grandes invasions viennent les noms formés sur bord, désignant une cabane en planche (d’où Borde, Bordas, Bordeau, Bourdeau jusqu’à…notre bordel…), et tous ceux formés sur burg, désignant initialement la place forte, puis le bourg, comme en Languedoc, les toponymes formés sur fara, désignant le domaine (La Farre, La Fère). Dans le Nord et en Alsace, on trouve des noms formés sur Ham et Heim, mots ayant le sens de maison, ou plus exactement de home anglais, qui en dérive lui aussi, d’où Ouistreham ou Molsheim, noms proches de tous les Hamel, parfaits équivalents actuels de nos hameaux. De cette époque datent encore les noms formés sur laubja, venu de l’allemand Laube, désignant le logis (d’où La Loge, Loyettes..) et enfin ceux construits sur saal, désignant une grande maison, à l’origine de notre mot salle et de noms de lieux comme La Salle, La Salette, Selles…)
Plus tardivement en Normandie, les Vikings ont laissé leur propres appellations avec both, signifiant abri qui a évolué en beuf, qui se retrouve dans Elbeuf (abri près d’une fontaine) ; tot, qui signifie ferme (d’où Yvetot) ; fljot, désignant un espace plat, à l’origine des toponymes finissant en fleur, comme Honfleur, ou encore thveit, nommant la pièce de terre et à l’origine de nombreux Thuit.
La lutte pour l’expansion
Une longue lutte de nos ancêtres contre la nature témoigne maints noms de lieux, parfois de générations différentes, mais se rapportant aux arbres qui ont été éliminé dans les forets pour faire place à l’extension des villages et aux nouvelles cultures.
Beaucoup s’appuient sur de vieux mots d’origines gauloise comme broglio (= petit bois), qui a donné quantité de Breuil, ou comme nauda (= marécage, d’où des Nœud, Noailles et Nouailles…), comme cassanos, nom du chêne (d’où tant de Chassaing, Chassagne, Cassagne…), comme betua, nom du bouleau (d’où Bez, Besse, Boulaye…), comme vernos, nom de l’aulne, longtemps appelé un verne (à l’origine des Vernay, La Vergne, Vergnolles, Vernoux…) ou encore varenna, qui désignait une lande (à l’origine de nombreuses Varennes et… de la garenne de nos lapins).
D’autres s’appuient sur des noms d’origine gallo-romaines, comme ceux tirés de fagus, le hêtre, qui a souvent été appelé un foyard (d’où des Fay et des Fayettes) ou de buxus, désignant le buis (d’où Buxy, Buxerolles, Buissières….)
D’autres ont été donnés par les Francs, comme les Houssaye, terres recouvertes à l’origine de houx.
Que ce soient les fougères (avec Feugères, Faugerolles…), la bruyère (avec Brugère), les charmes (avec Charmoy, Charmée…), tous ces noms de végétaux évoquent ce que les défricheurs ont éliminé pour obtenir des terres fertiles. Toutes ces surfaces sont devenus des cultures ou coutures (les Coutures Saint Gervais) patiemment gagnées sur la nature, essartées le plus souvent à la seule force du poignet, à la houe ou au sarcloir, et ce qui a donné des appellations comme les Essarts, Essertenne ou Cetines, ou comme Artigue (d’après un mot d’origine gauloise) d’où des Artiguenave, autrement dit artigue neuve…
D’autres évoquent au contraire les cultures que l’on y a développés, comme Avesnes ou Avanne, l’avoine ; Lignières, les champs de lin ; Chennevières, les plantations de chanvre, ce chanvre avec lequel on tissait des cordes et des vêtements, et qui n’étaient autre que notre cannabis ! Les prairies ont de même donné des Pradel et des Presles.
Après, le défrichement des forêts, et l’extension des villages, on voit apparaître de nouveaux hameaux, les habitations construites par les essarteurs étaient volontiers protégées par des palissades (Palisse, Plessis…) ou des haies vives (La Haye).
Beaucoup, pourtant rappelaient davantage le statut personnel : la colonica, cultivée par le colon, est à l’origine de nos Collonge et Coulanges ; les abergements étaient les lieux où l’on hébergeait ou abritait des paysans.
Les infrastructures de protection sont à l’origine de nombreux toponymes : firmitas (la forteresse) a donné des Ferté ; mirador (le poste avancé fortifié) a donné des Mirande, tout comme les châteaux ont généré nombre de noms de lieux, de Chateauroux à Castelsarrazin. Alors qu’en Bretagne, les paroisses donnaient des Plou et des Pleu (Pleuric ou Plougastel) et qu’ailleurs les sanctuaires donnaient des Chapelle ou des Capelle, des Egliseneuve ou des Moustiers.
« Villes nouvelles »
Mais ce sont surtout les agglomérations nouvellement fondées sous la protection des seigneurs qui alimentèrent la liste des toponymes, avec des légions de Villeneuve, Villenave, Neuville, de Bastide, de Villefranche (ville dont les habitants jouissaient de franchises et de libertés), de sauvetés donnant des Salvetat ou des Sauvement… On imagine mal, enfin le nombre de toponymes dérivés de l’ancien manse, principale unité d’exploitation de l’univers féodal. Non seulement, on trouve Metz, Mas, Magny, Mesnils (fréquents en Normandie et à l’origine de Ménilmontant), sans oublier pour autant que c’est directement à lui que nous devons notre moderne et si banale maison.
Le Paysage de la France du Moyen Age est un paysage rural !
Chaque « ville » abrite un certain, nombre d’agriculteurs, cultivant les champs situés à l’ombre de ses murailles ou à l’intérieur même de celle-ci et dans ses faubourgs.
Il ne faut pas oublier que ces faubourgs ne sont à l’origine que des excroissances poussées par la ville en direction de la campagne, développé originellement fors burg, c’est à dire hors du burg, hors de l’ancienne cité fortifiée qui avait grandi auprès de la citadelle ou du château fort (que les peuples germaniques nommaient burg, comme le font encore les Allemands d’aujourd’hui). Jusqu’au 19ème siècle, ces faubourgs sont donc restés à l’état d’écarts champêtres et ont été, en dehors des jours de foire ou de marché les premiers fournisseurs de la ville en denrées diverses. C’étaient les chevriers des faubourgs qui promenaient leurs troupeaux par les rues pour ravitailler en lait, évitant ainsi aux habitants de devoir aller l’acheter dans les étables et vacheries souvent établies au cœur même de la cité (la dernière étable de Paris, Rue de Fondary, dans le 15ème ne sera fermée qu’en 1925). C’était encore dans les faubourgs que travaillaient beaucoup d’artisans. Les tanneurs étaient établis près des ruisseaux et y faisaient sécher leurs peaux qui empuantissaient l’atmosphère. En amont sur les rives de ces mêmes ruisseaux travaillaient les maîtres blanchisseurs qui excellaient dans la technique du blanchiment sur opté en étalant le linge sur l’herbe des coteaux.
Très vite, ces agglomérations nouvelles avaient grossi et acquis une certaine autonomie. Beaucoup s’étaient vu doter d’un oratoire ou d’une chapelle et avaient été placées sous la protection, d’un saint, fréquemment à l’origine de leur appellation. Ainsi à Limoges, le Bourg Saint Martial, qui s’était développé au Moyen Age à quelques cinq cent mètres de la cité, devait dès le 12ème siècle lui être intégré par la construction d’une nouvelle enceinte, ce qui ne l’empêchera pas de s’attacher à conserver son autonomie jusqu’en 1792.
On ne saurait trop parler de banlieue. Ce mot que l’on redécouvrira au 19ème siècle, avait désigné au Moyen Age, l’espace d’une lieue, tout autour d’une ville, où les autorités ce celle ci pouvaient faire valoir leur droit de ban, autrement dit de légiférer. La banlieue était l’espace sur lequel la ville exerçait un pouvoir politique, après s’être protégée de l’extérieur par des murailles, des portes, des ponts, tout cela fortifié et doublé d’un service de guet draconien.
La banlieue était une sorte de zone tampon, de périmètre de sécurité, en même temps qu’un espace directement placé sous l’influence économique de la ville. Une lieue représentait environ quatre à cinq km. C’était en gros la distance permettant à un paysan de transporter en une journée, son blé à dos d’âne jusqu’au moulin pour aller l’y faire moudre. Et la ville possédait justement, dans ce périmètre, ses moulins bien à elle, auxquels ses habitants étaient tenus de réserver leur clientèle.
Ces domaines qui se sont alors développés un peu partout, plus ou moins, vastes et complexes, sortes de grandes fermes pilotes, sont appelés des villae, des villes sans aucun rapport donc avec les vraies agglomérations urbaines, alors rarissime et quand à elle nommés urbes.
Centres d’émulation économiques en milieu rural, ces villae gallo romaines sont comme autant d’oasis, émaillant çà et là de vastes paysages de terres incultes, de friches, de landes et de forets. Elles sont des centres d’exploitation, regroupant généralement des champs et des vignes, et nombres d’entre elles sauront subsister durant des siècles, en régnant sur la nature qui les entoure.
De forets en agglomérations
L’histoire de nos campagnes a aussi longtemps été celle du combat contre la végétation. Au fil des siècles, ce fut une grande alternance entre des périodes fastes, engendrant de grand mouvements de défrichage afin d’assurer la subsistance d’une population en pleine croissance, et des périodes moins favorables, durant lesquelles les friches et la foret regagnaient du terrain sur les espace cultivés. Ainsi à l’époque sombre et troublée des grandes invasions verront les broussailles recouvrir les champs et de nombreuses villae disparaître, alors que les barbares se fixaient un peut partout pour se livrer eux aussi aux joies de l’agriculture.
Les défrichages n’on donc jamais cessé. Sous les Mérovingiens et surtout sous Charlemagne, aux cotés des villae apparurent de petits groupements de population épars que l’on nomma des vicis (mot que l’on retrouve à l’origine de notre chemin vicinal et aussi de notre voisin,parallèlement à tout un éventail de petits centres de peuplement, qui n’avaient cessé d’émailler le paysage des constructions les plus diverses, allant au fil des siècles de la simple cabane, chaise, borde ou loge, au hameau et à la maison, qui tous subissent dans des noms que nous ne savons plus identifier. Ces défrichements ont été de plus en plus menés à l’initiative des religieux, donnant le jour à de nombreux monastères, souvent placés sous le commandement de supérieurs appelés des abbés d’ou leur nom d’abbaye. A la faveur du grand courant mystique du 12ème siècle, des terres seront également défrichées par des ermites. Mais on verra surtout de nouvelles générations de villae. Charmoy, minuscule commune de Saône et Loire, compte ainsi aujourd’hui un hameau composé de deux fermettes, du nom de Charmoy la Ville, s’agissant à l’origine d’une ferme e pleine campagne, que l’on entendait bien distinguer du centre de la paroisse, que les textes anciens nomment quant à elle, Charmoy le Moustier en référence à l’église qui y avait été construite au cœur d’un ancien vicus.
Ce mouvement d’alternance dans la lutte contre la nature se poursuivra quasiment jusqu'à la Renaissance. Après l’immense vague de déboisement génératrice de milliers de hameaux qui émailleront le paysage de l’Europe florissante des 11ème, 12ème, 13ème siècles, les deux derniers siècles du Moyen Age, avec la guerre de Cent Ans et son cortège de fléaux, verront l’abandon de nombreuses surfaces cultivées, que les hommes de la Renaissance, au sortir de ce tunnel, devront reconquérir à la force de leurs bras. De ces générations successives de défricheurs nous viennent une foule de noms de lieux qui, lorsqu’on sait les lire, sont les témoins de cette histoire. Plus que des noms de communes (car la plupart des paroisses leur étaient antérieures) ce sont surtout des noms de fermes isolées, de hameaux, de lieux dits et d’écarts.
Autant de noms qui sont souvent devenus des noms de famille, pour avoir été données comme surnoms (surtout dans les régions d’habitat dispersé) aux hommes qui les habitaient. Signes de l’évolution, es noms de lieux, montrent peu à peu la maison l’emporter sur le hameau, autrement dit un habitat plus individuel, ou du moins plus familial, l’emporter sur un habitat de groupe.
Mais ces siècles restent durs. La nature est hostile et les loups terrorisent les populations, brigands et pillards (essentiellement des mercenaires, sèment à tout moment la panique. Le paysage est donc très vite doté d’un système défensif. Les anciennes villae, se sont entourées de palissade et de tours de bois, se transformant en forteresses auxquelles on donnait le nom germanique de burg, très voisin de berg, désignant la montagne. Et ces burgs, ou les marchands itinérants faisaient volontiers étapes, faute d’auberge, ou les paysans venaient se retraire avec leurs animaux en cas d’attaque, ont très tôt vu se développer (d’abord dans leurs enceintes, désormais construites en pierres, puis à leurs abords), des habitations qui formèrent ces bourgs, où résidaient des burgenses, ancêtres de nos bourgeois.
Mais alors que ces bourgs grandissent et se multiplient, on va bientôt assister à la création de nouvelles agglomérations, plus proches de ce que nous connaissons.
La croissance
Entre les 11ème et 13ème siècle, le pays connaîtra une formidable croissance. Favorisé par la paix relative précisément rendue possible et étayée par la propagations de ces burgs et châteaux, cette croissance se fera sentir tant au plan démographique (elle sera ainsi la cause du dégagement de nos noms de famille), qu’au plan économique.
Les seigneurs de nos châteaux, se muant en entrepreneurs, emboîtent le pas aux religieux pour lancer de vastes opérations d’essartages, défrichement aboutissant à la création de nouveaux centre de peuplement que l’on a généralement nommés Villeneuve, Neuville ou Bourganeuf, agglomérations parfois fortifiées et désignées, dans les régions du Sud, sous le nom de bastides. Ils créent aussi des villes franches, où ils ont soin d’attirer des paysans qui se chargeront de défricher de vastes étendues de terres, tout en bénéficiant de diverses garanties.
Toutes ces agglomérations connaîtront au fil des siècles des destinées diverses, variant selon la force du château qui les protège, la puissance de son seigneur et de sa famille, la richesse et l’importance de l’administration qu’il y développe, ou selon celles de l’église et de la paroisse qui s’y est implantée. La dynamique féodale a en effet amené entre leurs murs, différents agents travaillant soit pour le seigneur-chatelain (qui est notamment chargé de rendre la justice) soit, peu à peu, pour le compte de l’administration royale.
Le prévôt ou le viguier, qui, a l’origine assiste le seigneur
Le gruyer, surveillant les bois et les étangs
Les juges, capitaines-chatelains, procureurs fiscaux, huissiers, avocats, puis les tabellions et les notaires
Les fonctionnaires royaux, avec le bailli (dans le cas où l’agglomération devient le chef-lieu d’un baillage)
Les lieutenants, tenants lieu de bailli lorsque celui ci est absent
Le grenetier, chargé du grenier à sel, le service chargé de veiller à la distribution et à la taxation du sel
Les officiers des eaux et forets.
Les prêtres, curés, sacristains, marguilliers, bedeaux
Avec le développement de l’artisanat s’installent tanneurs, taillandiers (fabricant les outils), tonneliers, drapiers, tailleurs d’habits (par opposition aux tailleurs de pierre), cordonniers, serruriers, puis chirurgiens, apothicaires, sans oublier les ciriers qui fabriquent les cierges dont l’église fait si grande consommation.
Voici enfin que se développent les commerces, avec les épiciers, les cabaretiers et les taverniers ; parfois aussi les maîtres de postes, ancêtres de nos voyagistes. A maints égards, ces agglomérations ne cessent de s’affirmer comme dominant le plat pays.
Mais si la ville anciennes produit longtemps entre ou sous ses murs, dans ses jardins et ses courts, la plus grand partie des denrées alimentaires dont ses habitants ont besoin, ; elle n’en constitue pas moins un centre où viennent s’écouler les produits des campagnes voisines. En sens inverse, elle est le lieu où les ruraux peuvent s’approvisionner en produits manufacturés. Des lors, ses foires et ses marchés sont à l’échelle de son importance et participent à son influence. Il n’est quasiment pas de bourg ni de bourgade qui n’ai eu autrefois son ou ses jours de foire, une ou plusieurs fois l’an, et c’est par elle que s’établit le contact entre ces deux univers au demeurant nettement séparés qu’étaient la ville et la campagne.
En effet rares sont les gens des villes et des bourgs qui fréquentent les campagnes : quelques artisans qui vont s’y approvisionner en matières premières, comme le tanneur y achetant ses peaux ; quelques commerçants allant y vendre leurs produits et les taillandiers leurs outils ; le notaire pour y recevoir les actes de ses pratiques, et quelques bourgeois, ayant acheté des terres et qui vont visiter leurs fermiers. Au 18ème siècle, quelques notables prendront l’habitude d’y mettre leurs enfants en nourrice, pour les faire profiter du grand air et du bon lait crémeux des fermières.
En sens inverse, hormis quelques marchands et maquignons fréquentant les foires, les notaires ou les curés des villages que leurs affaires y conduisent, l’immense majorité des hommes des campagnes ne franchit jamais les portes des villes, et moins encore les femmes, excepté celles en situation de détresse qui iront y abandonner leur enfants.
De façon générale, les familles des villes et des champs se fréquentent fort peu. Certes, des notaires ou des avocats des villes accordent parfois leurs filles à leurs jeunes confrères des campagnes, comme il arrive que tel fils de bourgeois épouse la fille d’un laboureur aisé, qu’un cabaretier du bourg se marie avec la fille d’un tonnelier du voisinage. Certes encore, la plupart des bourgeois et des artisans des villes et des bourgs ont leurs origines directe dans la campagne voisine : ils n’entretiennent pas pour autant des rapports avec elle. Ville et campagne restent deux milieux différents qui, ne se mélangent guère. Le citadin, déjà, passe volontiers pour un peu trop sur de soi ; le villageois, pour naïf et facile à duper. Ils se défient les uns des autres et le fossé qui les sépare est aussi profond au plan des mentalités que des réalités.
Longtemps d’ailleurs, la ville reste coupée de l’extérieur par un fleuve ou une rivière que peu de ponts traversent, par une muraille aux portes rares et bien gardées, situation qui se prolongera longtemps (souvent jusqu'à la seconde guerre mondiale) par les octrois, véritables barrières douanières intérieurs, où étaient perçues des taxes sur les marchandises transportées et qui matérialisaient donc bien le passage d’un monde à l’autre.
Aux yeux des ruraux, la ville était tout à la fois un lieu de convoitise et de crainte, de rêve et de perdition. Il faut dire que le campagnard y débarquant, outre qu’il resta longtemps repérable à ses vêtements, était pour le moins désorienté. Son milieu habituel était calme et silencieux : on n’y entendait évidemment ni tracteur, ni voiture et le chant du laboureur conduisant ses bœufs rompait seul parfois le silence. Arrivant en ville, il était assailli par la rumeur, par les cris de bateleurs et de marchands en tout genre : marchands de lait, de salades ou de marrons, vitriers, rémouleurs ou porteurs d’eau vantant leurs marchandises. Dans les villes de quelques importances, il se retrouvait dans un tohu-bohu général avec déjà une circulation intense, au point de connaître des embouteillages. La population très dense, s’entassait dans des maisons à étages qui s’élevaient partout y compris, à Paris, sur les ponts que leurs poids menaçaient d’effondrement. La nuit, les rues de ces cités étaient mal éclairées et toute une faune s’y répandait. Bien des gars qui étaient venus y tenter leur chance s’y marginalisaient, lorsqu’ils ne tombaient pas dans la délinquance, et bien des quartiers étaient peu recommandables, notamment aux alentours du château gaillard qui n’était autre que notre bordel.
Entre ville et campagne, le fossé était donc profond et ressenti comme tel. D’un coté, un mode agité et trépidant et de l’autre un paysage calme, sinon immobile, un milieu où les repères étaient plus évidents. Jean Jacques Rousseau ne considérait il pas les villes comme contre nature ? « Les hommes disait il ne sont pas faits pour être entassés en fourmilières, mais pour vivre épars sur la terre qu’il doivent cultiver ».
Le paysage de nos ancêtres est non seulement un paysage rural, mais aussi un paysage forestier. Car la foret n’est pas seulement très présente (les éssarteurs du Moyen Age n’ont guère fait que l’entamer), elle est aussi très peuplée et apparaît partout et à tout niveau comme étroitement liée aux villages et aux hameaux, dont les habitants y trouvent mille ressources. Ils y cueillent des fruits secs et sauvages, y ramassent les mousses dont certains font des litières, vont y chercher le bois mort ou s’y procurer le charbon de bois qu’ils utilisent pour se chauffer et pour faire cuire leurs aliments, les seigneurs y chassent le gibier, de nombreux artisans y trouvent leurs matières premières et des matériaux de constructions : manches de charrues, pieux des palissades, poutres et sabots en proviennent directement. Mais le rôle économique de la foret passe alors d’abord par ses feuilles fraîches et ses jeunes pousses, comme par l’herbe de ses sous bois, qui fournissent une large partie de la nourriture des animaux, vaches et chèvres y paissent constamment, pendant que les cochons s’y gavent de glands et de fanes.
De tout cela, il résulte que la foret est un éléments d’autant plus essentiel du paysage et de la vie de nos ancêtres qu’elle abrite tout un monde de petites gens et d’artisans : bûcherons, sabotiers, charbonniers… Ce sont des familles entières et souvent nombreuses, qui y vivent dans de pauvres cabanes, des huttes ou de minuscules chaumières.
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