L’éducation des enfants, entre fermeté des professeurs et autorité parentale
En 1861, Félix Dupanloup, déjà académicien, mais également théologien ayant eu en charge, vingt ans plus tôt, du séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet qu’il réforma de fond en comble afin d’en faire un lieu d’éducation où se mêlaient avec succès les jeunes garçons de familles riches et l’élite des élèves pauvres, décrit dans son De l’éducation les principes fondamentaux présidant à une éducation profitable des enfants, et prône la politique de la main de fer dans un gant de velours...
Pour l’académicien élu en 1854, « la fermeté, dans l’Éducation, c’est la force personnelle et morale, la force d’esprit et de caractère, avec laquelle un instituteur exerce et soutient les droits de l’autorité réelle dont il est revêtu. Ainsi, c’est la force morale et non pas la force matérielle : cette force est de l’âme et non pas du corps. C’est la force d’esprit, c’est-à-dire la fermeté dans le conseil : des pensées sans indécision, sans tâtonnement, sans faiblesse ; bien réfléchir, mais la réflexion faite, bien savoir ce qu’on veut et ce qu’il faut vouloir. La force de volonté, c’est-à-dire quelque chose d’arrêté et de résolu : de modéré sans doute, mais d’immuable dans sa modération.
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Dupanloup remarque qu’on voit des choses étonnantes : des professeurs très instruits, d’une taille prodigieuse, d’une force herculéenne, d’une voix de Stentor, ne pouvoir obtenir de leurs élèves un moment de silence et d’attention ; et des professeurs jeunes, sans apparence, n’ayant qu’un filet de voix, tenir admirablement une classe nombreuse, sans avoir même jamais besoin de demander l’attention et le silence. À ses yeux, la fermeté dans l’Éducation consiste principalement en trois choses :
« 1° NE LAISSER JAMAIS MÉPRISER SON DROIT. On peut pardonner des fautes de légèreté, d’inadvertance, et même des fautes plus graves ; mais les manques de respect, les fautes contre le droit de l’autorité, jamais.
2° NE JAMAIS LAISSER LANGUIR SON ACTION : c’est-à-dire ne laisser jamais commettre une faute, quelque pardonnable qu’elle soit, ne fût-elle qu’un mot, un geste, un regard, l’omission la plus légère, sans que l’enfant soit au moins averti paternellement de sa faute, sans qu’on lui représente avec douceur, mais sérieusement, ce qu’il devait faire et ce qu’il a fait, ou n’a pas fait ; sans qu’on lui fasse sentir et reconnaître son tort ; et si la faute est plus coupable, il doit être non seulement averti, mais gravement réprimandé, même quand on ne le punit pas.
3° NE JAMAIS RIEN CÉDER PAR FAIBLESSE aux caprices et aux importunités des enfants. Il faut qu’ils sachent et comprennent bien que, quand l’autorité a décidé, il n’y a plus qu’à se soumettre. En un mot, exiger toujours le respect, l’obéissance, la règle, la droite raison, et réprimer, corriger tout ce qui s’en éloigne ou s’y oppose : tel est l’office de la fermeté dans l’Éducation. »
Notre académicien considère la fermeté « nécessaire contre les enfants, contre les maîtres, contre les parents ; nécessaire contre le siècle, contre le pays où l’on vit. Nécessaire pour maintenir les études et faire travailler les maîtres et les élèves, et cela souvent malgré les parents ; sur trois cents enfants qui sont là, il y en a deux cent quatre-vingt-dix, qui naturellement ne voudraient rien faire, et souvent leurs parents n’y tiennent pas plus qu’eux ; les dix qui naturellement aiment l’étude, et travailleraient sans qu’on les y obligeât, sont des exceptions miraculeuses. Nécessaire pour maintenir le silence en même temps que le travail ; rien ne déplaît plus à ces trois cents enfants que l’ordre et le silence, et il faut qu’ils soient en silence douze heures par jour, et dans l’ordre toujours !
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L’autorité parentale est selon lui décisive : « C’est dès le premier abord que les parents et les instituteurs doivent prendre leur ascendant, et être les maîtres de l’enfant. S’ils ne saisissent ce premier moment, qui est toujours le plus favorable, et ne se mettent sans hésiter, du premier coup, en possession de l’autorité, ils auront toutes les peines du monde à la retrouver, et c’est l’enfant qui sera le maître ! et ce sera un terrible malheur ; car il n’y a pas de tyran comparable à ce maître-là. (...) Il y a, dans le fond de l’homme et du plus petit enfant, une volonté tyrannique, qui se montre et éclate dès l’âge le plus tendre : la lutte dès le premier moment est entre cette volonté et la vôtre. Que signifient ces pleurs, ces cris, ces gestes menaçants, et puis ces coups, ces yeux étincelants de colère dans un enfant, contre ceux qui ne lui accordent pas tout ce qu’il veut ? Que signifie tout cela, sinon cette volonté d’autant plus impérieuse qu’elle est déraisonnable, et qu’elle s’obstine à toute force et sans raison à obtenir ce qu’on lui refuse ? »
Et Dupanloup de citer Charles Rollin (1661-1741), historien et professeur de français, qui un siècle plus tôt, dans son ouvrage intitulé Traité des Études destiné aux pédagogues, explique que si on ne donnait jamais aux enfants « ce qu’ils demandent en criant et pleurant, ils apprendraient à s’en passer, et n’auraient garde de criailler et de se dépiter pour se faire obéir ; ils ne deviendraient pas si odieux, si incommodes à eux-mêmes et aux autres. Quand je parle ainsi, ce n’est pas que je prétende qu’il ne faille avoir aucune indulgence pour les enfants : je dis seulement que ce n’est pas à leurs pleurs qu’il faut accorder ce qu’ils demandent : et s’ils redoublent leur importunité pour l’obtenir, il faut leur faire entendre qu’on le leur refuse, précisément pour cette raison-là même. »
Sur la même ligne de pensée, notre académicien reprend : « Donc, dans l’Éducation privée, comme dans l’Éducation publique, au collège comme dans la maison paternelle, on doit tenir pour une maxime invariable, qu’après avoir refusé une fois quelque chose aux enfants, il faut se résoudre à ne l’accorder jamais à leurs cris ou à leurs importunités, à moins, dit encore Rollin, qu’on n’ait envie de leur apprendre à devenir impatients et emportés, en les récompensant de leur emportement et de leur impatience. Je dirai même, et toujours avec Rollin, que plus les enfants sont exigeants, moins on doit satisfaire leurs désirs déréglés : moins ils ont de raison, plus il faut en avoir pour eux ; et plus il est nécessaire qu’ils soient soumis à la ferme autorité et à la direction de leurs maîtres. Quand une fois ils ont pris ce pli, et que l’habitude a rompu leur volonté, c’en est fait pour le reste de la vie, et l’obéissance ne leur coûte plus rien. »
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Fleury, qu’il considère le plus austère des trois, va en effet jusqu’à dire : « Quoi que l’on fasse pour exciter les enfants à s’appliquer, il ne faut pas espérer qu’ils le fassent longtemps, ni que l’on puisse toujours les conduire par le plaisir ; on aura souvent besoin de crainte. Les enfants se familiariseront trop avec le maître, s’il est toujours en belle humeur, et il doit prendre garde, en cherchant à les réjouir, à ne se rendre pas trop plaisant, et à ne leur pas découvrir quelque faiblesse. Il faut donc qu’il reprenne souvent le caractère qui lui convient le plus, qui est le sérieux, et qu’il montre quelquefois de la colère et par ses regards, et par le ton de sa voix, pour arrêter l’épanchement de ces jeunes esprits et les faire rentrer en eux-mêmes. »
Fénelon voulait qu’on ne châtiât les enfants qu’à l’extrémité, rappelle Dupanloup, mais il voulait qu’on les châtiât : « Montrez-lui, disait-il, tout ce que vous avez fait pour éviter cette extrémité ; paraissez-lui en être affligé ; parlez devant lui avec d’autres personnes du malheur de ceux qui manquent de raison et d’honneur jusqu’à se faire châtier ; retranchez les marques d’amitié ordinaires, jusqu’à ce que vous voyiez qu’il ait besoin de consolation ; rendez ce châtiment public ou secret, selon que vous jugerez qu’il sera plus utile à l’enfant, ou de lui causer une grande honte, ou de lui montrer qu’on la lui épargne ; réservez cette honte publique pour servir de dernier remède. » Et de citer également Bossuet : « La crainte est un frein nécessaire aux hommes, à cause de leur orgueil et de leur indocilité naturelle. »
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