La Tribu

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L'invasion de Charleroi en 1914

 

La population Carolo dans la guerre 1914-1918 | Le pourquoi, les raisons

 

Né en 1930, j'ai connu dans mon enfance et mon adolescence, de nombreuses personnes agées et vieillards témoins des événements de la guerre 1914-1918, il m'est permis de faire apport complémentaire de notes non relevées dans les différents récits, plus précisément dans notre commune: « Gilly ».

 

Notant avec soin leurs souvenirs, les ayant avidement questionnés, ces témoignages, s'écartent des événements tactiques, ne retiennent que ce qui à trait à la souffrance, les larmes, la détresse des cœurs meurtris de l'héroïque population, tenue dans les mains de cruels brigands.

 

Ces témoignages recueillis touchent du doigt la sincérité, et serrent de près la vérité.

Le lecteur remarquera que ces différentes sources se corroborent.

 

L'hégémonie du Roi de Prusse et Empereur d'Allemagne dit le Kaiser et autres Seigneurs de guerre, pour les possessions, les frontières, les mers, les territoires, les religions, ...

 


Un de ces Seigneurs provoqua l'assassinat à Sarajevo de l'Archiduc d'Autriche-Hongrie. De là naissa la cruelle situation qui plongea les populations d'Europe et d'Asie à porter les fers.

 

Ces événements, ces détails sont plus impressionnants et plus dramatiques que tout ce que j'aurais imaginé. Rien n'est inventé, ni romancé. La réalité historique seule compte.

 

L'INVASION ALLEMANDE

 

L'Allemagne déclara la guerre à la Belgique le 4 août 1914. Tandis que l'armée belge opposait à l'invasion prussienne une résistance héroïque et que la forteresse de Liège tenait tête à des forces écrasantes, le pays de Charleroi ne connut pas d'événement militaire belge.

 

Le 3 août le 1er régiment de chasseurs à pied caserné à Charleroi, quittait la ville pour gagner Huy, puis Liège. La garde civique assumait la défense de l'ordre et la garde des ponts, des routes et des chemins de fer. Le 16 août l'on vit apparaître les premiers soldats français à Charleroi qui semblaient attendre des ordres ultérieurs

 

Le 21, au soir, le bruit courait qu'à Gilly Sart-Allet, dans le bois de Soleilmont et plus tard à Gilly Village « Saint-Rémy » se trouvaient des patrouilles, puis de nombreuses troupes allemandes. Les premières troupes, fidèles à leur universelle tactique, ramassèrent, partout où elles les purent trouver, les hommes valides et les vieillards, dont elles se firent précéder, pour affronter l'ennemi

 

Les Français placèrent des barricades à Deschassis, à la Planche et à la prison, dos à la Sambre. Soudain les mitrailleuses font feu, les Français, en raison de la déclinité de l'endroit, ont pu pointer leurs armes de façon à épargner le premier groupe où marchaient les civils. Désorientés, les fantassins sont pris de panique et, tiraillant au hasard, atteignent sans doute quelques-uns de leurs hommes, ils reforment leurs rangs.
Les Français se replient sur la rive droite de la Sambre. Une demi-heure plus tard la colonne se remit en marche. A peine avaient-ils essuyé le feu des Français que les  Allemands se mirent en devoir d'incendier les maisons depuis le Carrosse jusqu'à Bon-Air, la route de Bruxelles ne fut bientôt plus qu'un brasier : ils épargnent certaines maisons et allument impitoyablement les autres; par contagion l'élément destructeur se charge d'augmenter l'horreur voulue par les incendiaires.

 

C'est un épouvantable enfer : aux sinistres lueurs de l'embrassement viennent s'ajouter les scènes affreuses du pillage et du meurtre dans les rues, les soldats des 1er et 2e comp. du 10e bataillon de réserve des pionniers tirent au hasard, visent les fenêtres, abattent les fuyards. Épouvantés, les habitants, se terrent dans les caves, s'enfuient par les jardins. L'artillerie amenée au sommet de Sainte-Antoine lance au hasard plusieurs obus sur le fond, du viaduc, rue du Grand-Central, gare de l'Ouest atteignant également la rue de la Montagne et les environs. Comme la barricade reste muette, l'envahisseur reprend sa marche; les civils (page x) qui précèdent les lignes s'augmentent de tous ceux que les soldats débusquent de chez eux; brutalement, les hommes sont arrachés à leurs foyers et (page 17) versés dans la masse. S'ils font mine de résister en tentant de s'enfuir, on tire sur eux comme sur du gibier.

Un groupe de guerriers descend la rue de Châtelet, par la rue de la Cayauderie, contourne les Français à Montignies et à Couillet, Sur leur passage, ils incendient les maisons, dévalisent les magasins, brutalisent les civils qu'ils saisissent comme otages, laissent derrière eux une lugubre traînée de feu font sortir des maisons les habitants de l'endroit et les contraignent  avec les autres prisonniers, à déblayer la route, rebroussent chemin avec les otages qui les précèdent et se dirigent, par Charleroi Nord, vers Gilly Haies et Montignie-sur-Sambre.

 

La sinistre caravane est précédée d'une avant-garde de civils; les uns en manche de chemise, les autres en pantoufles ou en sabots, dans l'accoutrement de fortune où les a surpris la soudaineté des événements. Ils sont une quarantaine: parmi eux, on aperçoit un boulanger, M. Vital Stevenart de Dampremy dont les mains sont gluantes de pâte, grièvement blessé dans la rue du Grand Central, un vieillard aux cheveux longs d'un blanc jaunâtre, des prisonniers garrottés comme des criminels et attachés les uns aux autres; les bras en l'air, la figure respirant la terreur, ces malheureux s'en vont à la boucherie; de chaque côté, des soldats les surveillent et les maltraitent.

 

Les Français sont une quinzaine en embuscade à la prison en face du pont. Ils appartiennent au 119e régiment de ligne, derrière une barricade improvisée. A peine le cortège est-il en vue, qu'avec leurs mitrailleurs, ils ouvrent le feu. Un prisonnier crie : « couchons-nous ! » les combattants se jettent contre les murs. Malgré cela quelques-uns sont atteint; des otages (boucliers) en grand nombre sont tués ou blessés

 

En descendant la rue du Grand Central (gare de l'Ouest) cinq otages qui font mine de s'enfuir sont abattus comme des lapins.

 

Ils brisent portes, fenêtres, vitrines et par là, jettent des rondelles de poudre dans les habitations. Bientôt la rue, prélude à l'incendie de Charleroi, flambe de haut en bas

 

 A plusieurs endroits, ils se font précéder d'un nouveau contingent de citoyens qu'ils viennent de dénicher, certains voulant s'enfuir furent abattus : tirailler, vider les maisons, allumer l'incendie leur prit une heure et demie.

 

Au moment de se remettre en marche, sur les quarante otages, plus de vingt jonchaient le pavé, tués ou blessés. Quelques cadavres furent partiellement carbonisés par les tisons tombant des maisons incendiées (5). Il n'y eut, ni dans la banlieue ni dans la ville de Charleroi, de combat acharné; pas une maison ne fut occupée par les Français ni défendue par les civils; l'assaut qu'il fallut livrer aux habitations n'exista que dans l'imagination des chroniqueurs allemands, et la résistance de la population à l'entrée des troupes germaines est un pur roman inventé par l'état-major du général Von Bahrfeldt

 

Mais ce qui est vrai, c'est le mouvement que le commandant de la 19e division de réserve imprima à son armée en orientant sa marche vers Montignies-sur-Sambre

 

En effet, le 22 (matin) le général donna l'ordre à ses hommes de prendre à gauche (Bon-air) et de gagner Montignies par Charleroi Nord et Gilly Haies : nous les avons vus envahir toutes les rues conduisant à Montignies et poursuivre leur avance au milieu des incendies, des dévastations et du pillage. En progressant, ils prélevaient des civils, leur liaient les mains, les entouraient d'une corde. Vers 8 heures 30' du matin nous identifions le 74e régiment d'infanterie de réserve à Jumet-Houbois, sur la chaussée de Gilly : il s'est emparé de M. le Curé Lewuillon et de son Vicaire, M. De Muynck, et se sert d'eux comme d'un bouclier. Par Jumet Hamendes, chaussée de Ransart et Gilly Haies. Vers 11 heures, nous le voyons défiler, chaussée de Montignies et chaussée de Gilly à Montignies-sur-Sambre. Prenant les rues du Chênois, de Châtelet, de Lodelinsart, d'autres troupes exécutent le mouvement tournant par la rue de la Cayauderie, à Charleroi Nord, ou la rue du Calvaire, a Gilly, et aboutissent à Montignies-sur-Sambre.

 

Selon le témoignage de M. l'ingénieur Cailleaux, directeur de la chaudronnerie de la chaussée de Gilly, les premiers ennemis que l'on vit, le 22 août, à Montignies-sur-Sambre, furent une quinzaine de cavaliers qui se dirigeaient vers la rivière, pour explorer le pont. Les éclaireurs s'enhardirent jusqu'à la place du Centre, observèrent à la place du Bloc la barricade française, dont les défenseurs avaient disparu la veille, et constatèrent qu'elle n'était pas occupée. Ils descendirent de cheval, roulèrent une cigarette, puis se remirent en selle pour rejoindre les rangs de l'infanterie prussienne (

 

Vers 10 heures du matin, une trentaine de soldats descendirent la chaussée de Gilly (venant de Gilly). Vers 11 heures, une infanterie nombreuse s'avança vers le centre de Montignies : fut-elle attaquée par les Français ; On vit ces troupes rétrograder, à quelques centaines de mètres de la chaudronnerie Cailleaux « Véritas » et envahir les campagnes, les champs en face de cette usine : les hommes se mirent au repos. Entre midi et une heure, fut intimé l'ordre en avant, l'on vit apparaître à la place du Centre les premiers fantassins du 73e régiment de réserve, ils défilèrent pendant une heure, précédés de civils : le bouclier vivant qui protège ce groupe, composé de 1000 prisonniers, est entouré d'une corde et gardé aux quatre coins par des soldats. Afin d'empêcher les Français de faire sauter le pont, les Feldgraven massent sur le tablier de droite, un contingent de civils ... Plus tard, quand le tour viendra pour le charrois de traverser la Sambre, on éprouvera la sécurité du pont, en y faisant circuler, aller et retour, des voitures d'habitants réquisitionnées en cours de route pour le transport des approvisionnements 

 

 Les bataillons au repos, s'échelonnent bien loin sur la chaussée de Gilly « jusqu'à Gilly ».

 

Un aréoplane allemand, venant apparemment de Châtelet, survole Montignies, tournoie au-dessus de la place, et semble faire signe aux hommes. Soudain, un officier lance un coup de sifflet : d'est le signal d'une tiraillerie aveugle, qui se répercute de compagnie en compagnie et provoque dans les rangs des soldats le désarroi et la panique ... Quelle est la cause de cette stupide fusillade ; Faut-il la voir dans les combats que Français et Allemands se livraient à Couillet; Il n'y avait plus un seul Français dans la commune, et, devant l'appareil formidable de l'armée ennemie, pas un seul civil n'eût osé, même s'il en avait eu le moyen, faire acte de révolte : depuis une heure de l'après-midi - car la fusillade commença vers 6 heures - Montignies était occupé par les Prussiens, et le défilé ininterrompu des soldats n'avait fait qu'augmenter l'impression de terreur.

 

Ce furent, en tout cas, d'inénarrables scènes de meurtre et de désordre : effrayés, les chevaux se cabrent et veulent s'enfuir, les hommes, pris de panique ne sachant à quel ennemi s'en prendre, perdent la tête, tirent au hasard, se blessent ou se tuent mutuellement, ils s'attaquent aux civils, qu'ils brutalisent et fusillent à bout portant. Bientôt, sur toute l'étendue de la chaussée de Gilly jusqu'à 100 mètres de la rue des Audouins et au centre de Montignies, les flammes de l'incendie, que traverse partout une fumée âcre et suffocante, rendent les rues impraticables, et favorisent la confusion de l'armée, et, dans l'affreux vacarme, qu'intensifie encore l'effondrement des toits, on perçoit le fracas des canons, les détonations saccadées des fusils, le bris des vitres, les hurlements sauvages des combattants, les lamentations des femmes, les cris perçants des enfants ... Toute la nuit jusqu'à huit heures du matin, avec des alternances d'accalmie, ce fut un horrible chaos, où la brute humaine et les éléments déchaînés rivalisèrent d'horreur. Rien n'échappe à la rage des soldats : ils incendient la chaudronnerie Cailleaux, et les écoles des Frères, où des lits ont été aménagés en vue d'une ambulance, ils tiraillent dans les fenêtres de l'hôpital Sainte-Thérèse où apparaissent en évidence les insignes de la Croix-Rouge: le docteur Émile Dutrieux et la sœur supérieure, occupés à panser les Allemands, s'avancent vers les incendiaires  et leur demandent ce qu'ils veulent, et pourquoi ils mitraillent un hôpital qui héberge leurs propres blessés. On a tiré sur nous, répondent-ils, en même temps, ils vont voir si l'on dit vrai, et exigent l'assurance qu'on ne tire pas : ils cessent le feu et même éteignent l'incendie de quelques maisons trop proches de l'hôpital.

 

Le docteur Dutrieux et la Sœur Supérieure parcourent le lundi matin les rues de la commune afin de recueillir les cadavres des civils : chez les uns, les crânes fracassés mettaient à nu la cervelle répandue par terre, d'autres regardaient devant eux fixement, tous portaient sur les traits la soudaineté de la mort, l'expression de la terreur. On en découvrit 33 dans les rues, les champs et les jardins. Dans un champ de betteraves, on en trouva 6 ou 7, fusillés presque côte à côte : c'étaient des hommes, dont plusieurs avaient été choisis parmi les otages. D'où étaient-ils ! Gosselies, Lodelinsart, Dampremy, Gilly, Montignies.

 

Pendant la nuit, François Genard fut conduit sur le pont comme otage : il se précipita dans la Sambre, espérant s'échapper à la nage, il fut tué à coup de fusil, était présent le Vicaire M. Émile Lumen de Gilly Haies.
Beaucoup de civils s'étaient réfugiés dans leur citerne, où ils se tenaient debout dans l'eau : on retrouva, le mardi suivant dans la citerne de M. Cailleaux, l'enfant, d'un an et demi, de Célestin Mahy, que la mère affolée, au moment où les Allemands voulaient s'emparer d'elle avait laissé tomber dans l'eau, en tentant de s'y précipiter elle-même; le petit corps flottait à la surface.

 

La famille Biélande s'était, elle aussi, réfugiée dans la citerne avec deux des enfants, le troisième, au berceau, était malheureusement resté dans une chambre à l'étage: le père, ayant voulu le sauver, ne put se servir de l'escalier que l'incendie avait fait écrouler. L'enfant fut carbonisé dans l'incendie, et l'un des deux autres asphyxié dans la citerne, le lendemain matin, les parents éplorés arrivèrent à l'hôpital, portant dans les bras le cadavre du petit. Le mardi 25, Mme Béliande recueillait les restes carbonisés de son enfant et les enterrait avec la dépouille de son second. On retira de la citerne les cadavres de Mme Nicolas Dofny, née Malvina Lemal, et de sa fille Simone, tuées par les Prussiens (page 28) : le corps de la mère était percé de coups de baïonnette. M. Dofny fut saisi comme otage, subit les traitements les plus cruels, et ne rentra qu'après trois jours. Devant le spectacle de sa femme et de sa fille assassinées, et des cendres de sa maison, il perdit momentanément la raison ... l'infortuné Dofny trouva la mort dans l'explosion de grisou du 15 décembre 1921 à Montignies-sur-Sambre

 

À Charleroi, il n'est pas possible actuellement de calculer l'importance des dégâts : elle est énorme. Elle atteint, en tout cas, un chiffre considérable de millions. Souvenirs de famille, tableaux, meubles précieux, vaisselle rare, marchandises, valeurs, coffres-forts, tout est anéanti : il ne reste rien qui vaille. les progrès du feu furent si rapides qu'il fut impossible de rien préserver, l'entrée des Allemands à Charleroi et l'incendie de la ville furent si foudroyants que les gens s'échappèrent, éperdus, dans toutes les directions, esquivant un danger et tombant dans un autre ... C'est un désastre indescriptible


 EN ROUTE POUR SAUVER CHARLEROI ET SA BANLIEUE

 

La fusillade venait de terminer son crépitement, et l'incendie battait son plein. Au risque de leur vie, quelques habitants de la rue du Grand Central, du boulevard Audent, de la rue de la Montagne et de la rue d'Orléans s'efforcèrent d'étouffer les flammes ou, du moins, d'enrayer leur progression.

 

Il pouvait être quatre heures de l'après-midi, quand à la tête d'un groupe de citoyens de la rue Charles Dupret, de la rue de Marcinelle et de la place de la Ville-Basse, Léon Henvaux se rendit chez le bourgmestre Emile Devreux, afin de le pressentir sur ses intentions de s'aboucher avec l'autorité prussienne : des réfugiés de Couillet, où était parvenue l'offensive ennemie, affirmaient que des canons étaient braqués sur la ville de Charleroi. A l'hôtel de ville, le Bourgmestre avait fait arborer le drapeau blanc, et déclara que les Français ayant assumé toute responsabilité, il n'avait plus qualité pour représenter la ville. A son tour, l'avocat Albert Dulait, accompagné de l'échevin Édouard Falony, allait trouver le Bourgmestre, pour le presser de s'expliquer avec le général allemand. Le magistrat n'hésite pas et s'apprête à partir ... Mais, au moment de se mettre en route, il est repris de scrupules : seul, le commandant français a qualité pour rendre la ville.

Ce soir-là, il renonce à la démarche. La nuit porte conseil ...

 

Le lendemain matin, dimanche 23, le Bourgmestre était prêt à courir tous les risques pour sauver Charleroi et sa banlieue.

Aussitôt fait que dit.

Albert Dulait mit gracieusement son automobile à la disposition du magistrat et s'offrit à l'aider dans ses efforts. Paul Dulait, étudiant notaire, devait accompagner les parlementaires en qualité de chauffeur. Émile Buisset, échevin des finances, constituerait avec le Bourgmestre et Albert Dulait, la délégation de Charleroi. Il convenait, pour la facilité des négociations, d'avoir avec soi un interprète allemand, on se résolut à prier Louis Smeysters, qui parle l'allemand à la perfection, de s'acquitter de ces délicates fonctions.

 

L'automobile, chargée de tout l'espoir de Charleroi démarra vers 5 heures 45'; elle fila vers Montignies-sur-Sambre. Smeysters portait le drapeau blanc. À l'extrémité de la rue de Montignies prolongée, le véhicule ralentit sa course : au débouché de la rue, sur la place de Montignies on apercevait des Allemands, et il fallait à tout  prix éviter l'apparence d'une provocation; la place était couverte de convois, et, à l'entrée, campaient les voitures d'ambulance.

 

Une sentinelle, l'arme au bras, montait la garde, les autres soldats du poste dormaient sur les sièges des voitures et dans les chariots. A la vue de l'automobile, la sentinelle mit en joue : M. Smeysters, en signe d'intentions pacifiques, agita le drapeau blanc. On s'arrêta et l'on demande à parler à un officier, Un officier supérieur se présenta.

 

Dès qu'il apprit qu'il avait affaire aux notables de Charleroi, il se répandit en violents reproches contre les citoyens: « vous avez tiré sur nos soldats! » répétait-il sur un ton qui ne souffrait pas de réplique.

Ce refrain, que les soldats et même les officiers allemands on stéréotypé en venant en Belgique, était destiné à résonner souvent comme un salut d'introduction, aux oreilles des délégués. On tâcha de s'expliquer. Pour adoucir la mauvaise humeur de l'officier, On exhiba les certificats de « bonne conduite », qu'avant de partir, M. Merckens, consul d'Allemagne à Charleroi avait décernés à la ville, et l'on exprima le désir de s'aboucher avec le général. Ces certificats attestaient les bons procédés de la population à l'égard des citoyens allemands et l'admirable élan de dévouement qui avait spontanément surgi du cœur de la cité, en vue de faire aux blessés un accueil charitable.

 

De rogue qu'il était, l'officier devint humain.

M. Smeysters demanda si un officier ne pouvait pas se joindre aux délégués, afin de faciliter le passage à travers les troupes et l'introduction auprès du Commandant.

Le lieutenant Von Hanneken fut désigné et monta dans la voiture, cet homme devait être un timide, il ne quitta pas sur tout le parcours, le grand revolver qu'il brandissait avec ostentation. On se remit en route, il fallut traverser Montignies et entrer dans Couillet, Sur le pont de Couillet se tenait  toujours les civil, en qualité d'otages; ils avaient passé la nuit là, debout, pendant le défilé des troupes, et, la mort dans l'âme, ils attendaient une décision.

 

En voyant une automobile belge, montée par des Belges qu'ils connaissaient, les malheureux ne purent réprimer un sourire et un salut.

 

Le général von Bahrfeldt, qu'il s'agissait de rejoindre, était, affirmait-on, au château de Parentville (Couillet Fiestaux). Un chemin très raide aboutit directement au château, avant de s'engager sur la montée, les délégués de Charleroi s'étaient vu mettre en joue plusieurs fois. L'automobile eut un mal infini à gravir cette côte à pic et c'est en se délestant de tout son équipage, qu'elle parvint enfin sur la hauteur ou perchait le château. L'état-major allemand s'était installé là. Les notables d'abord reçus par un officier, M. Smeysters fit les présentations. L'officier se mit à les invectiver et à leur affirmer sur le ton tranchant du reproche et de la certitude, que les habitants avaient tiré sur les soldats allemands. Toute dénégation était superflue. Vite, il ordonna à son secrétaire d'inscrire sur un carnet que la ville de Charleroi, pour avoir violé les lois de la guerre, serait imposée pour une somme de 50 millions. (4 milliards 1994).

 

Sur ces entrefaites, voici le général von Bahrfeldt, tenait en main les certificats de bonne conduite qu'on avait réussi à lui faire parvenir. La même rengaine retentit aux oreilles des parlementaires : M. le Bourgmestre, déclara le général von Bahrfeldt, les civils de Charleroi ont tiré sur nos soldats!

 

Le Bourgmestre protesta de toute son énergie de l'innocence de ses concitoyens et jura sur l'honneur qu'à  Charleroi l'on n'avait pas tiré. Les autres délégués ajoutèrent leur témoignage à celui du premier citoyen de la cité.

 

Deux officiers, qui observaient et écoutaient de loin, s'approchèrent du groupe et apportèrent à leur tour le poids de leur autorité.

 

« Vous en avez menti », disaient-ils, « les civils de Charleroi ont tiré sur les soldats allemands » et, déployant un plan de la ville, « voici même l'endroit d'où les coups sont partis », certifia l'un d'eux. Il montrait sur la carte le point précis d'où il prétendait que les civils avaient tiré. M. Albert Dulait suivait avec une attention aiguë l'explication de l'officier : il n'eut pas de peine à lui faire toucher du doigt son erreur. L'endroit qu'il indiquait n'était pas situé sur le territoire de Charleroi, mais bien sur une localité voisine. « Je n'entre pas dans ces détails », rabroua le général von Bahrfeldt, « on a tiré sur le passage de nos troupes, il s'agira de payer une indemnité de guerre; arrangez-vous avec les communes avoisinantes »

 

Le point capital, puisqu'il n'était pas possible de convaincre les Allemands du contraire, était de fixer le montant de l'indemnité.

L'officier supérieur qui avait d'abord accueilli les mandataires, revint à la charge avec sa proposition de cinquante millions. Les délégués, pour autant que le tolérait la position critique où ils se débattaient, poussèrent des hauts cris. Le général lui-même était d'avis que ce chiffre était exagéré, et il ramena l'imposition à dix millions (huit cents millions en 1994).

 

Même dix millions, le Bourgmestre et ses compagnons déclarèrent que c'était trop et qu'il serait impossible de les recueillir. Prenant la parole, M. Buisset expliqua, avec beaucoup d'habileté, la situation obérée des finances de Charleroi. Son discours parut faire impression et le général ébranlé, tout en s'en tenant à la somme de six millions, permit qu'elle fut versée par parties à échéances espacées.

 

Mais il fallait de toute nécessité que deux millions (160 millions en 1994) fussent payés avant 6 heures du soir, sinon, ajoutait-il en montrant les canons  braqués sur la ville, Charleroi sera réduite en cendres.

Outre les dix millions, le général von Bahrfeldt imposa des réquisitions multiples en grains, farine, avoine et paille. Le Bourgmestre ne put s'empêcher de faire remarquer que ces denrées n'existaient pas à Charleroi et que le général exigeait de lui l'impossible. « On nous demande bien à nous l'impossible », réplique l'officier; « arrangez-vous avec les bourgmestres des environs, et trouvez-moi le nécessaire, sinon, à 6 heures du soir la parole est aux canons ».

 

On rédigea une convention contenant les clauses formulées par les Allemands, et libellée dans les termes suivants :

 

TRAITÉ DE COUILLET (23 août 1914)

 

Le général donna l'ordre au lieutenant von Hanneken d'accompagner les délégués à Charleroi et de veiller à ce que l'argent fût recueilli en due forme et remis en mains aux autorités allemandes. Avant de rendre la liberté aux parlementaires, il déclara qu'il retenait comme otage M. Louis Smeysters, qui d'ailleurs, s'offrit spontanément : « puisqu'il parlait si bien l'allemand, il était tout désigné pour être un sûr garant de la parole donnée ». L'on prit congé et l'on se remit en route pour l'hôtel de ville de Charleroi.

 

L' automobile rentra lentement, par la route de Gilly, encadrée de mitrailleuses et de civils; au nombre d'environ deux cents, ceux-ci marchaient derrière le véhicule; ils devaient servir d'otages et garantir la sécurité du peloton du lieutenant von Hanneken. Arrivés sur la place de la Ville Haute, les soldats postèrent une mitrailleuse devant l'entrée de chaque rue, et les délégués, accompagnés du lieutenant, s'engagèrent dans l'hôtel de ville, pour aviser aux moyens de recueillir deux millions.

 

Tandis que des otages de marque, parmi lesquels nous distinguons M. le chanoine Lalieux doyen de Charleroi, sont détenus dans le cabinet du Bourgmestre, MM. Devreux, Buisset et Falony se mettent en devoir de rassembler l'argent et de faire droit aux réquisitions en nature.

 

Les banques de Charleroi, Centrale de la Sambre, Union du Crédit, Charles Bivort, Félix Pierlot et Cie, Crédit Général Liégeois fournirent généreusement leur avoir disponible. M. Paul Dewandre mit patriotiquement au service de la ville toute sa fortune liquide grâce à des promesses souscrites par les mêmes banques, les deux millions étaient, pour six heures, prêts à être versés .

 

Partout dans la région de Charleroi, les « braves » soldats allemands s'étaient emparés de la population civile, pour s'en faire un bouclier contre l'armée française; ils avaient massacré, sans motif ni jugement, des centaines et des centaines d'habitants de tout âge; ils avaient incendié et dévalisé des rues et des localités entières. Ils avaient, honteusement et criminellement, violé les lois de la guerre et de l'humanité.
Et pour masquer leurs forfaits, les « braves » soldats allemands jetaient la calomnie sur la population civile ...

 

 LES OTAGES

 

On rapporte que Frédéric le Grand, roi de Prusse, se vantait d'avoir, pendant la guerre de sept ans, joué un bon tour à ses « amis » les Russes, en plaçant devant ses troupes, pour s'approcher de l'ennemi, des centaines de civils. En voyant en tête de l'armée prussienne leurs concitoyens désarmés, les Russes n'avaient pas tiré et ainsi avaient perdu la bataille.

Ce bien bon tour, les Allemands l'ont rejoué aux Français et aux Belges, en poussant devant eux des centaines d'habitants. Dans la région de Charleroi, fidèles à la tradition de Frédéric le Grand, ils ne pouvaient avancer d'un pas, sans être précédés et encadrés de civils;  et, même alors, un coup de feu venait-il à éclater sur leur chemin, immédiatement, battant en retraite, ils saisissaient tous les hommes des environs, les ajoutaient au troupeau des prisonniers, et reprenaient leur marche, masqués par ce bouclier vivant.

 

En descendant la chaussée de Bruxelles à Lodelinsart, les premiers envahisseurs, déjà alors protégés par un plastron de civils, furent accueillis à la planche de Dampremy par les salves des fantassins français.  Vite, ils rebroussent chemin, s'emparent des malheureux qu'ils cueillent dans les maisons, boutent le feu à toutes les habitations, et, précédés d'un rideau plus épais encore de citoyens, se mettent en devoir de marcher au-devant des Français. Cette tactique fut, de la part de l'envahisseur, dans tout le pays de Charleroi où les Français lui offrirent de la résistance, d'une application systématique. Et tous les habitants, sans distinction de sexe, de condition ni d'âge, leur étaient bons pour se prémunir contre les balles ennemies. Ils pénétraient dans les maisons comme des sauvages, et, sans égard pour la faiblesse ou l'infirmité, ils poussaient devant eux, en l'accablant d'injures et de mauvais traitements, le vil troupeau de la population civile.

 

Ces pauvres gens devaient impitoyablement marcher; on ne leur laissait le temps ni de s'habiller, ni de se couvrir, ni de prendre avec soi un vêtement plus chaud contre le frais du soir. On pouvait voir des femmes en négligé, déchaussées, échevelées, des vieillards sans couvre-chef, traînant misérablement leurs années et leurs infirmités, heureux quand ils ne recevaient pas de coups et des injures; des petites filles, plus mortes que vives, accrochées aux jupes de leurs mères; des pères inquiets pour le salut de leurs proches; des enfants tout jeunes, portés sur les bras de leurs mères; des prêtres enfin, qu'une vile soldatesque maltraitait, comme on ne maltraite pas le bétail récalcitrant.

 

Ces infortunés devaient souvent au milieu d'une grêle de balles, précéder les troupes allemandes : tantôt les mains en l'air durant de longues heures; tantôt couchés à plat ventre devant les mitrailleuses, dont les salves infernales crépitaient au-dessus d'eux; tantôt même en pleine bataille, comme les prisonniers de Châtelet, exposés aux projectiles français, les injures pleuvaient dru ainsi que les menaces; à voir les figures farouches des combattants, à interpréter les gestes expressifs qu'ils esquissaient avec leurs armes, ces malheureux otages s'attendaient à tout moment à être fusillés,  et déjà, ils avalent mis en règle leur conscience avec Dieu. Par la chaleur torride qui régnait le 22 août, ils durent rester des heures et encore des heures sans un verre d'eau pour étancher leur soif; et c'est merveille si un soldat allemand pris de pitié pour leur détresse, donnait à ceux oui marchaient près de lui, un morceau de pain pour apaiser leur faim.


Nous avons retrouvé, une fois le calme rétabli, des femmes et des enfants qui, à la vue et à l'évocation même d'un soldat ennemi s'effaraient et pensaient à s'enfuir (page 90).

Toujours en tête des troupes, nous rencontrâmes de l'artillerie venant de Gosselies. Le major dit ensuite en français à un membre de la Croix-Rouge, M. Fréson: « Vous pouvez vous retirer et les enfants de même » (quelques gamins étaient restés dans notre groupe), quand aux autres, en route. Vous avez tiré sur nos soldats, vous serez fusillés »

 

Nous atteignîmes bientôt la place de Montignies où nous allâmes grossir les rangs des otages de la commune : parmi ceux-ci quelques-uns - victimes prochaines de la justice teutonne, sans doute - avaient les mains liées derrière le dos, Là nous fîmes halte.

 

Dès que les Allemands se furent convaincus que le pont n'était pas miné, et que leurs charrois pouvaient s'y effectuer sans danger un défilé ininterrompu de convois de munitions et d'approvisionnements passa sous nos yeux, éclairé par les incendies de Montignies et de Couillet.

 

Nous restâmes de faction sur le pont jusque vers 6 heures du matin, protégeant le cortège des Allemands et empêchant les Français, s'ils l'avaient miné, de faire sauter le pont. Une pluie fine et continue tombait qui perçait nos vêtements (page 92). Nous vimes passer devant nous, à notre grand étonnement, une automobile montée par des civils, parmi lesquels nous reconnûmes MM. Devreux, Buisset, et Albert Dulait, bourgmestre, député, et avocat. En roulant devant nous, ils nous adressèrent un bonjour amical, où se peignait la douleur et la pitié.

Vers 6 heures, huit civils, parmi lesquels le vicaire de Gilly Haies et les trois frères de la doctrine chrétienne avaient été expressément désignés, furent détachés de notre groupe et emmenés dans la direction de Loverval.

 

Les autre otages, et nous en étions, reprirent la route de Montignies. On nous mit en ligne sur la berge et, avant de nous donner le signal du départ, on nous fit la menace de nous fusiller si nous quittions les rangs. Nous fûmes conduits par toutes sortes de chemins à Montignies-Neuville. Là, les soldats s'emparèrent du Bourgmestre et de l'abbé Van Haeren, curé de la Neuville, et nous firent descendre avec eux, par Montignies Trieu, jusque sur la chaussée de Charleroi, où nous rencontrâmes, revenant en automobile de son expédition, le bourgmestre Émile Devreux.

 

Nous rentrâmes alors à Charleroi, escortant les troupes allemandes, toujours sous la menace d'être fusillés si l'on tirait sur elles. Toujours otages, nous fûmes massés dans les corridors de l'hôtel de ville au hasard de la place que nous pûmes y trouver. Comme nous mourions de soif, on nous apporta un seau d'eau dont, au moyen du gobelet d'un soldat, nous bûmes longuement et avidement; on nous distribua même un morceau de pain pour tromper notre faim. Il pouvait être 9 heures du matin, et nous n'avions ni bu ni mangé depuis qu'on nous avait saisis, c'est-à-dire depuis la veille à midi. De plus, nous étions harassés de fatigue, à cause de l'intolérable supplice qui nous était infligé de marcher les bras en l'air. Ce supplice fut presque continuel (page 94), les arrêts que nous fîmes par endroits, étaient les seuls moments dont nous pûmes profiter pour reposer nos bras : nous éprouvions à la nuque des douleurs insupportables.

 

Nous restâmes à l'hôtel de ville jusque vers 3 heures de l'après-midi, pendant qu'on discutait la question de la contribution de guerre à payer aux Allemands. À 3 heures, nous fûmes remis en liberté

 

À Montignies-sur-Sambre les troupes allemandes étaient toujours précédées de groupes de civils. Ceux-ci massés par escouades de 30 à 50. Puis suivait un bataillon de soldats; on en a pu compter 10 à 15 groupes, venant directement de Gosselies, Jumet, Lodelinsart, Dampremy, Charleroi ...

 

Enfin, dit l'abbé De Pauw, Curé d'Hymiée (Gerpinnes) « Nous exprimions' un jour à un sous-officier notre étonnement de cet étrange procédé; il répondit que les Allemands, en se faisant précéder des civils, n'avaient d'autre intention que de se protéger contre les francs-tireurs. »

Cette assertion, on vient de la constater, ne tient pas devant les faits. Nous préférons l'explication d'un journal d'outre-Rhin, qui affirmait sans broncher que la tactique consistant à placer des civils devant les armées en marche, remontait à la plus haute antiquité

 

On a généralement constaté que les braves Français, en recevant le choc de leurs adversaires ainsi précédés de civils, faisaient tous leurs efforts pour épargner ceux-ci, et diriger leur tir sur les seuls Allemands.

 

Grâce à cette délicatesse, il arriva, peut-être, qu'ils tirèrent trop tard et, par là, compromirent la promptitude de leur action, ou même, en plus d'une circonstance, ne tirèrent pas du tout ...

 

Tous les prêtres leur étaient bons à maltraiter et à tuer. Ils mirent ainsi à mort 47 ecclésiastiques, et en poussèrent devant leurs toupes au moins 200, qu'ils malmenèrent d'atroce façon

 

L'abbé De Fillet, vicaire de Gilly Haies, fait prisonnier par les Allemands le samedi à 7 heures du soir était avec les otages à Montignies. Le vicaire fut accusé d'avoir tiré sur les soldats, excité la population à la guerre des francs-tireurs, accueilli chez (page 119) lui des civils portant des armes : toutes imputations qui n'avaient aucun fondement. Avec les otages, ils s'avancèrent jusqu'à Couillet-Queue, ils pouvaient être au nombre de 40 à 50. Ils parcoururent ensuite, en compagnie de civils, le bois de Nalinnes dans tous les sens, afin de vérifier si des ennemis ne s'y trouvaient pas, éclata un coup de canon, tiré par les Français : il se coucha de tout son long pour éviter les obus, car les belligérants commençaient la bataille. Dès que les mitrailleuses se mirent à tirer, on cria aux otages « Sauver-vous ».


Il fut relaché le dimanche vers deux heures de l'après-midi  : comme nous faisons de l'histoire objective, nous renonçons à dépeindre les souffrances morales que ces traitements comportent et nous nous en tenons aux faits extérieurs. Nous avons trouvé sur le champ de bataille de Gerpinnes une lettre d'un soldat français, écrite au crayon et datée du samedi 22 août. C'est une réponse à une lettre, également en notre possession, du père du soldat. Celle-ci est datée du 14 août, et expédiée d'Argenteuil, II bis, ruelle de l'Église. Elle annonce au soldat que son père est employé à la mairie, bureau de l'assistance publique, et qu'il lui expédie un mandat d'argent. Elle est signée M. Masson

 

Voici la lettre du soldat:

 

Samedi, le 22 août

Mes chers parents,

Reçois à l'instant votre lettre du 14 août. Sommes au-dessus de Châtelet que nous avons occupé jusqu'à ce matin, où nous nous sommes repliés pour faire un mouvement tournant. Pour l'instant, nous déjeunons, car il y a vingt-quatre heures que notre ventre est à moitié vide; mais cela ne fait rien et augmente au contraire l'enthousiasme, car c'est bien pour la première fois que nous avons vu les Allemands; un combat acharné s'est engagé.

Les boches arrivaient sur une route (page 98) en colonne par quatre, alors c'est vous dire si on s'est occupé. Ces salauds-là poussaient devant eux des civils, mais malgré cela ils ont eu des pertes considérables : 25 p.c. au bataillon, 2 tués et 7 blessés. Un aéro monté par 3 officiers a été descendu par nos mitrailleuses, car les tuyaux d'orgue de 75 jouent aux Pruscos la marche funèbre.

Félicitation à l'employé de l'assistance publique et confiance en Dieu et en l'avenir.

Bons baisers aux personnes amies.

 

Cette courte lettre, rédigée en style télégraphique sous le feu de la mitraille, n'offre rien de déshonorant, au contraire, pour celui qui l'a écrite; nos lecteurs n'y verront assurément aucune tare pour la mémoire du soldat André MASSON, tombé héroïquement au champ d'honneur, et ils excuseront l'indiscrétion que nous avons commise en en faisant usage. Nous n'en retenons qu'un point : c'est que, sous les yeux même de l'ennemi les Allemands poussaient devant eux des civils et qu'ils se protégeaient ainsi contre les balles françaises.

 

Voici le résultat d'une minutieuse enquête au sujet de ces incroyables procédés

 

A Monceau-sur-Sambre, un groupe en particulier dans lequel se trouvait M. Degline, remonta toute la rue de Trazegnies jusqu'aux écoles du Ruau. On les parqua dans la prairie en face ses écoles, et les y laissa jusqu'à 7 heures du soir. Un sous-officier, qui parlait à la perfection le français et disait même avoir été professeur d'allemand à Paris , tâchait d'expliquer pourquoi les innocents pâtissaient pour les coupables. « L'armée allemande », disait-il, « doit s'avancer à promptes étapes et a besoin avant tout de sécurité dans sa marche; elle n'a pas le temps de faire de longues enquêtes, elle doit se protéger contre les attaques sournoises de la population. S'il arrive que des innocents soient punis avec les coupables, leur cas est pareil à celui des élèves d'une école : on châtie toute une classe pour le délit d'un seul, les membres de la classe étant à juste titre solidaires les uns des autres et responsables de la faute de tous et de chacun. Ici aussi les civils sont solidaires les uns des autres, et le crime de l'un doit naturellement retomber sur la tête de plusieurs : c'est la guerre ». C'est un raisonnement de brigand, mais force est de reconnaître que nous l'avons entendu de la bouche de plusieurs Allemands, et même de ceux que leur éducation aurait dû contenir dans les limites de la justice.

 

Le Bourgmestre de Lobbes, M. Duquesne, reçut d'un colonel ennemi la réponse typique qu'on va lire, « Quoi! M. le Bourgmestre, vous êtes docteur en droit et vous ne savez pas encore qu'en temps de guerre, nous infligeons non pas des peines justes, mais des peines exemplaires! »

 

Quoi qu'il en soit à 7 heures du soir, les otages de Monceau levèrent le camp et descendirent la rue de Trazegnies selon l'ordre suivant : en tête marchaient 4 civils, les mains en l'air, obligés de crier à tue-tête : « ne tirez pas sur les soldats! », puis suivait une compagnie de soldats, ensuite 8 civils, une compagnie de soldats, 8 civils et ainsi de suite. Ils traversèrent donc Monceau, puis Marchiennes et allèrent jusqu'à la grange Quintin, où, en compagnie d'habitants de Montignies qu'on leur avait adjoints, ils passèrent la nuit, entassés dans un petit espace, au nombre d'environ deux cents.

 

Vers 7 heures du matin, les gens de Montignies furent relâchés, et trois prisonniers fusillés. Les autres furent remis en liberté vers 1 heure 30' de l'après-midi

Nous avons choisi comme exemple, la liste des maisons sinistrées et des civils tués qui parlera plus éloquemment que tous les raisonnements et toutes les sorties de colère indignée

Il y eut là :

 

Lieux 

Maisons
incendiées
 

Partiellement
détériorées
 

Civils tués 

Charleroi

159

-

41

Lodelinsart

93

202

16

Jumet

86

-

10

Montignies-sur-Sambre

134

 

37

Monceau - Marchienne

251

62

66 (page 242)

Tamines

312

-

383

Dampremy

-

-

11

Couillet

69

-

16

Anderlues

71

-

3

Nalinnes

12

-

2 (page 158)

Gilly

+/-20

+/-40

4

À ma connaissance, pas de recensement correct à Gilly, où il ne reflète aucunement la réalité;

 

 LE 22 AOÛT 1914 À GILLY

 

La garde civique de Gilly descendait la chaussée de Fleurus en direction du haut du Sart-Allet afin de prendre contact avec l'ennemi Allemand.

 

Joseph Dewinter habitant cet endroit aperçu arrivant du fond de l'Abbaye de Soleimont, montant vers la chaussée de Fleurus, deux soldats Uhlans uniforme gris-vert. Ces cavaliers prirent alors la direction de Gilly Quatre-Bras.

La garde civique se trouvait alors sur le haut du Sart-Allet d'où elle apercevait les deux cavaliers Uhlans à 400 mètres.

 

Restant à l'abri du regard des deux cavaliers Allemands, la garde civique rebroussa chemin vers les Quatre-Bras en criant aux habitants: « mettez-vous à l'abri, les Allemands arrivent! »

Venant de Charleroi, un side-car avec deux soldats français à bord, uniforme bleu et kaki, pantalon blanc et rouge descendaient eux aussi la chaussée de Fleurus, se dirigeant vers Soleilmont, Fleurus. Rencontrant la garde civique, ceux-ci prévenaient les deux soldats français de l'arrivée des Allemands. Les soldats français retournèrent vers Charleroi.

 

L'après-midi, les soldats allemands arrivèrent en nombre cette fois. Le soir ces soldats prirent logement chez l'habitant, visitant les immeubles de la chaussée de Fleurus.

Les parents font obligatoirement dormir les enfants sur les paliers d'escaliers.

C'était l'invasion de notre région par les troupes du Kaiser, ils sont nombreux à la place Saint-Rémy, où un soldat allemand prend un enfant sur les jambes et lui offre une saucisse. Plus tard l'enfant habitait Gilly-Corvée. De ce côté, pas d'autre incident ! Le lendemain, la troupe reposée ne tarde pas et disparaît.

 

La famille Gérard Marcel. Chaussée de Châtelet à Gilly. Son grand-père était propriétaire d'une ferme à la rue de la Lune à Gilly où les troupes allemandes du Kaiser stationnèrent.

 

Venant de Jumet-Hamendes, deux cavaliers Uhlans (éclaireurs) arrivent à Gilly Mastelles et nous recommandent de mettre des drapeaux blancs en évidence aux fenêtres. Une heure plus tard arrive une troupe, maintenant devant elle des civils, stoppe en face de chez nous (Mme Dallons) et place les civils dans un pré en face, entre deux bosquets, qui se prolonge jusqu'au château Mondron. Les otages ou boucliers ont la chance de faire une halte, ce sont des enfants, des femmes, des hommes. Parmi ces otages, un homme de Marchienne-au-Pont! « Chez nous », disait-il, « la tuerie ne s'arrête pas, les soldats mettent le feu aux immeubles de Monceau à Marchienne ». René Dallons (fils) poursuit : « Les soldats nous réclamèrent de la boisson, de la nourriture et de l'eau pour se rafraîchir ».

 

Arrive alors un officier blessé, qui sollicite l'aide de ma mère, alors qu'il se soignait lui-même, ensuite, un soldat lui fit une demande, ma mère, ne comprenant pas l'allemand, demanda alors : « Qu'est-ce que c'est: » aussitôt, le soldat furieux et vociférant se lança sur ma mère, l'officier hurlant l'arrêta net ... Cet officier remit à ma mère une attestation de recommandation et un moment plus tard, les civils devant eux, ils partaient vers Gilly Haies et la rue du Calvaire. L'officier et quelques soldats étaient Lorrains, (Alsace) parlaient le français et étaient rassurants.

 

Emmanuel De Behr, greffier adjoint près du tribunal de Charleroi, demeurant 41 chaussée de Bruxelles à Jumet, fait la déclaration suivante : « Le 22 août, vers 8 heures 30', ma porte fut enfoncée par les soldats, cinq ou six fusils étaient braqués sur moi. Je fus empoigné brutalement et lancé au milieu de la rue. Il en fut de même de ma femme, comme je la retenais, elle fut arrachée de mes bras et tomba évanouie. Avec d'autres citoyens, je fus placé en tête des troupes. Le groupe de civils était entouré d'une corde et c'est de cette manière que nous fûmes conduis à Gilly (Hauchies). Les Prussiens nous firent agenouiller sur le pavé pendant une demi-heure, nous crachèrent à la figure et lancèrent leurs baïonnettes vers nous. Plusieurs en furent atteints. Quelques instants après survint un chef qui me rendit la liberté avec huit ou neuf autres otages ».

 

L'Infortune de la famille Barbiaux : le même jour, le 22 août 1914, des troupes allemandes tenant devant elles des civils, montent la rue des Hauchies (celui-ci ne peut être que le groupe précédant) et par la rue Saint-Bernard et la chaussée de Lodelinsart arrivent à la hauteur de la rue Tourette. L'immeuble qui forme l'angle de cette rue et la chaussée de Lodelinsart (côté bas) est la boulangerie de mon oncle Jean-Rémy Barbiaux où mon père travaille plutôt en famille.

À la hauteur de notre boulangerie, les Allemands nous réclamèrent avec insistance des boissons et de la nourriture.

 

 Mon oncle arriva sur le seuil de sa maison, des pains sur les bras, il était suivi de son épouse, née Anna Flémalle. À cet instant, ils reçurent le feu de plusieurs coups de fusils, mon oncle était mort instantanément, ma tante reçut une balle dans l'oeil et survécu défigurée. Combien de victimes : pas de recensement ...
La terreur s'emplifia, les soldats mirent le feu aux immeubles à partir de notre boulangerie (pas touchée) sept ou huit en descendant vers Saint-Bernard.

 

« Je n'avais que deux ans à peine, ma mère m'ayant dans les bras, s'était enfouie dans la paille au-dessus de l'écurie qui se trouvait dans le prolongement de la boulangerie à la rue Tourette. L'incendie, par chance, ne parvint pas jusqu'à nous ! La troupe qui maintenait constamment lesotages devant elle, s'en alla par la rue du Calvaire où elle mitrailla les façades, les fenêtres, les portes... alors que par la rue des Sept Actions, des Uhlans chargeaient des soldats français vers le Warmonceau. Notre métier persista, moi-même ayant tenu une boulangerie à la chaussée de Ransart entre le maréchal-ferrant, M. Brabant, et son homologue Prosper Veny rue du Réservoir ».

 

 M. Debruyne en famille : « La pièce éclairée par une lampe à pétrole, où encore soucieusement mes parents enlevaient les couvercles du poêle, afin que le charbon incandescent illumine notre intérieur. Le soir, mon grand-père et mon père me racontèrent bien souvent leurs vécus de la guerre 1914-1918 que j'écoutais avec attention ». A Gilly Haies, les Allemands placèrent une mitrailleuse à l'arrière de la place entre l'Église et la rue Tourette. Aussitôt les balles pleuvaient dans les façades, les fenêtres et les portes, de la rue des Sept Actions, sentier de la Limite et vers le Warmonceau. A l'intérieur des maisons, des éclats à n'en plus finir : il fallait se blottir au mieux. Mon grand-père aida au transport d'un blessé dans une pharmacie de Gilly Haies, alors que les soldats allemands se reculèrent pour faire place aux porteurs. Combien de victimes: pas de recensement. La place des Haies était encombrée (troupes, charrettes, Chevaux ...)

 

Les troupes et les otages quittèrent la place des Haies, par la rue des Sept Actions et le Warmonceau.

 

De Mme Descamp, chaussée de Montignies à Gilly, née en 1912 : « J'étais très jeune, mais ce que je retiens de mes parents est démentiel. Ainsi, chez Mme Pichener un peu plus bas que chez nous, immédiatement après le garage Citoën (Coenen) (cette dame était la tante de l'instituteur Vandendriese de Gilly) où les Allemands exigèrent que Mme Pichener jette son bébé dans la citerne. L'enfant décéda presque instantanément. Désemparées bien des mères se cachaient dans leur citerne. (Trois tués jetés dans leur citerne) (immeubles longeant l'autoroute, chaussée de Montignies à Gilly, appelée jadis cour Van Hamme  ». Le viol était aussi en évidence, une jeune dame prenant son travail chez la famille Gérard à la rue de La Lune à Gilly. La famille, qui habite le quartier, préfère garder le silence

 

« Je me souviens, en 1922, j'avais dix ans, les immeubles situés à partir du deuxième virage de la chaussée de Montignies en venant de Gilly, des deux côtés, étaient encore sinistrés, alors qu'ils avaient été en partie incendiés jusqu'à Montignies-sur-Sambre pendant la guerre. Là non plus, pas de recensement ... »


 LA FUITE SOUS LA PLUIE

 

(Alors que j'étais toujours pieds nus en 1918)
De Joseph Dewinter : « J'avais 11 ans. Un camion allemand aux roues d'acier (avec aspérités usées) patinait en montant la rue du Wainage. Le sol humide, les nombreux nids de poules, la boue et les pierres bloquaient définitivement le camion, je regardais alors ces deux soldats allemands qui réquisitionnaient deux chevaux à la ferme voisine. Lorsque les soldats montèrent à cheval, je montai en croupe avec l'un d'eux. Ils prirent la direction de Namur par Lambusart, Baulet ... En chemin, je chantais : la choucroute Ah l'Allemagne capoute. »

 

Parvenu à Spy, je saluais les deux soldats et revenais chez moi dans l'après-midi, évidemment pieds nus, jamais de chaussures  » Mille neuf cent nonante-trois : « J'ai 86 ans  », moment crispant, contenant sa peine Joseph poursuit : « Je n'ai jamais vu ma mère avec des chaussures, uniquement des sabots, raison pour laquelle on l'appelait, dans le quartier, Marie Clown. Au catéchisme, constamment pieds nus, le curé refusait ma présence mais adroitement me faisait un bon pour une paire de sabots à prendre au magasin Taildeman (coin gauche du sentier) actuellement rue de Centenaire. La rue du Wainage, appelée également rue de Namur, était à l'époque le chemin le plus court pour se rendre en cette ville. »

 

Après ces journées tragiques d'août, ce fut quatre longues années d'occupation avec leurs cortèges de privations, de rationnements, de misères, de tracasseries, d'amendes. Le cuivre, le cuir, la laine et les chevaux furent réquisitionnés. Les habitants devaient céder une ou deux pièces de leur maison. L'ennemi confisquait jusqu'à 75%' de la production charbonnière, le combustible était rare et coûteux.

 

L'hiver 1916-1917, la température extérieure était de moins 16°. Un arrêté de 1917 ordonna la fermeture de toutes les écoles. Spolié de presque toutes nos ressources et par un blocus des plus rigoureux, le pays fait face en créant un comité national pour le ravitaillement de la population civile, exemptée de réquisitions militaires.

 

Sous le patronage d'une commission américaine d'abord et, à l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1917, d'un comité hispano-néerlandais, le comité national de ravitaillement fonctionna malgré toutes les difficultés, distribuant vivres et vêtements, un service médical, coins de terre, soupe populaire, l'alimentation de la première enfance; lait, phosphatine et déjeunés aux futures mamans, repas scolaires et couques, lard et saindoux venant d'Amérique.

1939-1945


Je ne pense pas que l'histoire offre beaucoup d'exemple d'une telle catastrophe d'une nation.

A ce jour, l'Europe ne peut se concevoir sans la moindre partie de ces nations. Plus de population condamnée. Plus d'intrigues. Plus de génie malfaisant.

 

LE RAVITAILLEMENT ET LE MARCHE NOIR !

 

Année 

Pain
(par grammes et par jour)
 

 1914

250 

 1915

240 

 1916

240 

 1917

330 

 1918

260 

 

  

Denrée alimentaire 

Quantité 

 Pommes de terre :

 60 kg par an 

 Miel artificiel :

 1/2 kg par mois 

 Confiture ou sirop :

 1/2 kg par mois 

 Céréale ou gruau de mais : 

 1/4 kg par mois 

 Sucre :

1/2 kg par mois 

 

 

En 1923, le pain d'un kg : 1,10 frs
En 1925, le pain d'un kg : 0,95 frs
(Joseph Dewinter gagnait 18,00 frs par semaine, il avait 18 ans).

Monsieur Detrie et sa sœur, cité de la Remise à Gilly évoquent : « Les souvenirs, chez nous, se racontaient rarement », toutefois notre grand-mère n'oubliait pas.

Née Marie Blampain en 1871, épouse de Jules Hardy, ils habitaient chaussée de Montigny à Gilly (ce jour, bureau fiscal assistance S.A., 6060 GILLY).

 

Encore marquée par la douleur, notre grand-mère nous racontait ses souvenirs.

Le 22 août, venant de la rue du Calvaire et empruntat la chaussée de Montigny, les troupes allemandes précédées de civils « bouclier », tiraient des coups de fusil, d'autres soldats incendiaient des maisons entre la chaussée de Charleroi et l'autoroute (jadis chemin de fer reliant la gare de Gilly Quatre-Bras au réseau national par Charleroi Nord).

 

Les voisins terrorisés fuyaient, notre grand-mère, devant l'horreur se précipita sur ses nouveaux-nés (des jumeaux) qu'elle enveloppa dans son immense tablier et descendit dans sa citerne d'eau pluviale, les bébés décédèrent presque immédiatement. Notre grand-père, fou de douleur, se révolta aussi vite que dit, il subit des représailles et fut pendu par les cheveux derrière la porte d'entrée de sa maison.

 

Les Allemands ne faisant qu'un moment d'arrêt, notre grand-père en réchappa. La famille compta onze enfants. Notre grand-mère ainsi que notre grand-père décédèrent en 1933 et 1945.

 

L'intégrité du sol allemand.

 

Depuis la campagne de Napoléon, l'Allemagne n'avait jamais connu la guerre sur son sol. L'armistice du 11 novembre 1918 avait sauvé son armée d'une catastrophe totale en lui permettant de repasser derrière ses frontières sans culpabilité.

 

Mais il avait fallu pour cela qu'arrive la mutinerie de la marine Impériale (Kriegsmarine) qui déstabilisa le pays ainsi que la conjoncture des défaites sur les différents fronts.

 

Guillaume II le Kaiser responsable de la Grande Guerre fuyant son Empire disparu en Hollande.

Sa fuite avait été sans grandeur au moins elle apportait à son peuple les horreurs de l'invasion.

Enfin, l'arrivée au pouvoir d'hommes résolus à sauver ce qui pouvait l'être pour peu qu'ils trouvent en face d'eux des adversaires désireux d'arrêter au plus tôt l'affreux carnage.

 

PAYSAGE DE MAI 1940

 

Ces horreurs vécues par nos familles ne s'oublièrent jamais. Faire sauter la serrure de la douleur, insurmontable.


L'évocation de ses souvenirs déchirants, poussèrent les suppliciés de jadis et de nombreuses générations à fuir par centaine de mille par les chemins de l'exode.

Anecdote :


(famille Detrie) Nos grands-parents paternels habitaient Ransart « Pont Malaise », leur ménage compta vingt et un enfants.
Sans raison aucune, notre grand-père fut découvert sans vie, assis sous un poirier, alors qu'il maintenait encore une bouteille de Chassart entre les jambes.

Fin novembre 1918, ce fut l'euphorie de la paix retrouvée.

La vie normale revenue et après les cérémonies officielles, la population se dédommagea de quatre années de peines, de terreurs et de privations par une effervescence extrême. Un exemple en est rapporté par la gazette de Bruxelles du 2 octobre 1919 sous le titre « Scène folklorique ».

 

Les coutumes maroliennes se répandent dans le pays. La société des Nations tardant à faire exécuter le Kaiser, les habitants des communes viennent à leur tour, de procéder à son exécution.

 

Après avoir habillé en grand officier et promené dans les rues, le mannequin du Kaiser a été amené près d'un échafaud où se trouvait un exécuteur de hautes oeuvres. Après une courte délibération du jury, le Kaiser fut condamné à être décapité séance tenante. La hache lui trancha nettement le cou où se trouvait une vessie remplie de sang de porc qui jaillit de tous côtés, au milieu des hourras indescriptibles!

 

La tête détachée entraîna avec elle un chapelet de navets, de tranches de rutabagas et pelures de pomme de terre symbolisant le rationnement alimentaire. « Chez nous la fête se passa sur la place Saint-Rémy, communément appelée à l'époque place du Village »


LES BELLES SOIRÉES

 

À 19 heures au lit, pas d'électricité, l'été nous pouvions jouer aux cartes pour des groseilles que nous venions de recevoir, des noyaux de cerises, des tickets de tramways (trop cher pour nous, nous n'y allions jamais) que nous ramassions dans les voitures au terminus à Gilly Soleilmont.

Ces tickets étaient blancs, rouges, roses, bleus, jaunes, verts ... Plus tard pour des images de coureurs cyclistes des temps héroïques.

 

LES FAMILLES NOMBREUSES

 

 Séquence  

 Nom  

 Nombre
d'enfants 
 

 Localité  

 Joseph Dewinter

 Sart-Allet

 Chez la tante Thérèse Dewinter

 Sart-Allet

 Mathilde Daxbeck

11 

 Sart-Allet

 Hollemans

14 

 Soleilmont

 De Keulear

13 

 Sart-Culpart

 Prévot

10 

 Sart-Culpart

 Boeckmans

 Sart-Culpart

 Van Malder

10 

 Sart-Culpart

 Debu ou Dubuc et Dumont
   (deux beaux-frères)

27 

 Sart-Allet (St-Pierre)

10 

 Marie Blampain épouse Jules Hardy né à Gilly

11 

 Genson (Remise)

11 

 Georgette Hardy épouse Jules Detrie né à Ransart
   (sœur du précédent) 

21 

 Ransart


 
Nos n'dumendons qu'à travaillî
Mins surtout en travaillant
I faut du pain pou nos èfants.

Les enfants, filles et garçons, très jeunes, 8 ans déjà étaient placés à la mine. Les mineurs les appelaient sizet (chardonneret) étant donné leur voix. Les patrons en général activaient les ouvriers mineurs à la fécondité. Vos enfants assureront votre retraite, votre logement... le bel avenir ! Ce faisant, l'ouvrier croyait à une aide assurée, le patron s'assurait une main-d'oeuvre abondante. En somme, l'ouvrier était la formule 1 de la production. Une indication des salaires a été donnée précédemment. D'après mon père Édouard Vande Vonder né en 1885.

 

CIMETIÈRE DE GILLY | LA CRYPTE ET LE MONUMENT À NOS HÉROS

 

En 1923, nos soldats tués en campagne et morts en Allemagne furent ramenés chez nous par chemin de fer en gare de Charleroi. Des wagons, les dépouilles mortelles sans nom, sans certitude aucune, ont été chargées à la pelle dans des sacs et acheminées dans les communes environnantes, par camion appartenant à la firme Citaxe de Charleroi.

J'ai reçu ce témoignage en 1990-92 d'une personne qui y participa. Ce témoin âgé de 90 ans, convoyeur à l'époque, fut chauffeur par la suite à la firme citée ci-avant. Habitant Charleroi Nord, cet homme exigea l'anonymat en assurant que ces événements étaient encore très frais en sa mémoire.

 

À Gilly, les dépouilles mortelles furent placées dans des cercueils en zinc et bois construits par les ouvriers communaux. Une crypte était bâtie au centre de notre cimetière pour recevoir les cercueils, tandis que sur le dessus devait être placé le monument aux morts de notre commune.
Constatant que les loges étaient construites trop courtes pour recevoir les cercueils, l'autorité communale fit raccourcir ceux-ci! En présence du bourgmestre de l'époque, Monsieur Latinis, du Commissaire de police et du policier Jean Duffaux, les ouvriers, MM. Evrard et Alexandre se mirent en devoir et coupèrent un morceau des différents cercueils. Après vérification, il se révéla également que la crypte n'était pas assez résistante Dour recevoir le monument, celui-ci trouva socle sur la place Saint-Pierre à Gilly Sart-Allet.

 

La rumeur publique s'étendit jusqu'au niveau national, se formèrent des cortèges de manifestations, des réunions ... Des chansonniers mettaient l'événement en chanson dans les rues, sur la place de la-Ville-Haute (par un chansonnier de Farciennes).

Au tribunal, les ouvriers furent condamnés à 8.000 F d'amende.

Policier, commissaire et bourgmestre:

 

Dans des commentaires en 1982 environ, M. Debroux disait : « Il y avait aussi de l'alcool...  »

Les ouvriers :
- M. Evrard habitait chaussée de Châtelet ;
- M. Alexandre ainsi que M. Debroux habitaient rue du Sart-Culpart ;
- L'agent de police Jean Duffaux† (à la retraite à l'époque du témoignage) habitait rue des Auduins;
- Le bourgmestre Latinis+, chaussée de Charleroi ;
- Le commissaire 

Sources :
- Feu Jean Duffaux reçut ces commentaires en 1982-84† ;
- M. Debroux, peintre, était au conseil communal M. et Mme Vande Vonder Daxbeck++, reçu en 1935-36 rue Brasserie Gillieaux ;
- M. Joseph Dewinter et les habitants de Gilly (Chaussée de Fleurus, Sart-Allet et au 241, chaussée de Montignies à Gilly).  



12/04/2011
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